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Abdelhamid Kermali, le lyonnais du FLN

Le 24.06.2019 par NSOL31

Si le football n'était qu'un sport, il ne revêtirait sans doute pas toute la beauté dont il fait preuve. Abdelhamid Kermali, le lyonnais parti au FLN, en est l'illustration.

« L'Algérie, c'est la France »

Le 12 novembre 1954 en visite à Alger, François Mitterrand, futur président de la République et alors ministre de l'intérieur, déclare « l'Algérie, c'est la France ». Et en effet, le 24 avril 1931, lorsque à Akbou, Abdelhamid Kermali voit le jour, l'Algérie est bien française. Dans cette petite ville d'une cinquantaine de milliers d'habitants aujourd'hui, au nord de l'Algérie, située entre Ighram et Amalou, en pleine wilaya de Béjaïa, le football n'est alors pas une préoccupation majeure. En effet, alors que la ville est la deuxième plus peuplée de la wilaya, aucun grand club de football ne vient faire les gros titres de la presse arabophone ou francophone. Pourtant, si la colonisation française a eu un apport positif et global en Afrique du Nord, c'est l'amour du football. 

Alors ce n'est pas très étonnant de voir qu'Abdelhamid Kermali, que ses amis surnomment alors affectueusement Hamid, qui vit dans une famille très pauvre, passe le plus clair de son temps dans la rue à jouer à la balle. Surtout, lorsqu'il a une dizaine d'années, il quitte définitivement l'école, et devient footballeur à plein temps. Ou en tout cas, footballeur lorsqu'il n'est pas employé par ses parents pour quelques menus travaux ménagers, histoire de trouver de quoi améliorer un ordinaire morne. 

En jouant sur les terrains de terre bosselés, les joueurs - et Abdelhamid Kermali ne fait pas exception - parviennent à augmenter leurs qualités techniques, et beaucoup deviennent ainsi de fins dribbleurs. Ce n'est donc pas un hasard si les recruteurs des plus grands clubs musulmans d'Algérie y font leurs courses. C'est finalement Lyas Benaouda et les frères Laklif, Abid et Kader, trois recruteurs de l'USM de Sétif, qui craquent pour le gamin. 

Tout un talent

Recruté par l'USM de Sétif, Abdelhamid devient très vite un titulaire indiscutable de l'équipe réserve, et, en 1948, alors qu'il n'a pas encore dix-huit ans, il fait ses débuts avec l'équipe première dans le championnat régional. Face à l'AS Bône, l'adversaire du soir, il livre une grande partie sur son aile droit. Alternant les dribbles courts, les crochets pied opposé et les centres depuis l'arrière, il donne le tournis au défenseur opposé à lui. Avec un mental bien en avance sur les joueurs de son âge, il parvient à devenir un des joueurs essentiels de l'USM de Sétif.

Abdelhamid Kermali a conscience de ses qualités. Ce n'est donc pas un hasard si, lors de l'été 1951, il rejoint un autre USM encore plus prestigieux, celui d'Alger. Cela ne sera qu'une étape pour lui. En effet, Kermali n'a qu'une idée en tête : rejoindre la France. Bien sûr, il y a des justifications financières, mais aussi et simplement la possibilité de se mesurer à une opposition beaucoup plus rigoureuse. Pour l'ailier qui accumule les buts depuis déjà quatre saisons, la progression n'est que la logique de son talent. 

C'est à Mulhouse que Kermali se posera finalement pour sa première saison dans l'Hexagone, à l'aube de la saison 1952-53. Un premier exercice où il prend la mesure du football européen. Mais une année très réussie, malgré la rigueur du climat. Cependant, quand l'AS Cannes vient toquer à sa porte pendant l'intersaison suivante, Abdelhamid Kermali n'hésite pas une seule seconde. Outre le climat, la présence historique algérienne dans le club (Mokhtar Arribi, Mustapha Zitouni...) achève de convaincre celui qui vient de glaner le surnom de « Karboua ». Sur la Côte d'Azur, l'ancien de l'USM d'Alger impressionne, à la fois par son style et sa polyvalence. Deux exercices durant, il est considéré comme un des meilleurs joueurs offensif de la région.

Entre Rhône et Saône

Alors quand il signe à l'Olympique Lyonnais en août 1957, tout le monde est convaincu que Lyon vient de réussir un énorme coup. Face au mode de vie azuréen, la cité rhodanienne a su proposer un modèle culturel. En effet, « le Cheikh » - son nouveau surnom dans le 69 - a été séduit par la forte communauté immigrée algérienne. Sa première saison, logiquement, est du même acabit que les précédentes : très bonne. La deuxième commence dans la même veine, et en plus de quelques très jolis buts, notamment à travers une ou deux frappes de loin, Abdelhamid Kermali est très apprécié par ses coéquipiers pour les nombreuses passes décisives qu'il délivre. Mais tout va basculer le 13 avril 1958.

Alors qu'il vient de disputer un match la veille avec l'Olympique Lyonnais, Abdelhamid Kermali va rejoindre l'équipe du FLN. Il prend un taxi avec Rachid Mekhloufi (qui évolue alors dans le Forez et est alors hospitalisé !), Mokhtar Arribi et Abdelhamid Bouchouk, qui jouent alors respectivement pour Avignon et le Toulouse FC. Ce départ fait écho à celui réalisé déjà quelques jours plus tôt par d'autres joueurs algériens. Kermali et ses amis réalisent ce que l'histoire retiendra comme la fuite du gang des lyonnais, bien que seul l'ailier droit ait évolué à Lyon au cours de sa carrière. Ils transitent par la Suisse, avant de prendre l'avion en Italie vers Tunis.

Seuls dix joueurs, sur les douze au total partis de France, arrivent finalement en Afrique du Nord. En effet, Mohamed Maouche et Hassen Chabri, les joueurs de Reims et de Monaco, sont interceptés à la frontière... alors que Mekhloufi, lui, est félicité par les douaniers pour son dernier match ! Les dix hommes, qui formeront donc la première équipe du FLN, le Front de Libération National, logent dans un petit appartement individuel à Tunis. Comme ses camarades, Abdelhamid Kermali touche une petite rente. Cette équipe du FLN connaîtra des déboires avec la FIFA. En effet, toutes les sélections osant l'affronter sont bannis de la Coupe du Monde à venir ! Les joueurs sont également suspendus : Kermali en prend pour deux ans. 

One, two, three...

Abdelhamid Kermali ne reverra jamais la France en tant que joueur. Son parcours à l'Olympique Lyonnais s'achève plus tôt que prévu, avec dix-sept réalisations en soixante-quatorze rencontres. Sa femme et ses enfants, français sans liens avec l'Algérie, sont aussi laissés pour toujours de l'autre côté de la Méditerranée. Après quatre saisons où il n'évolue qu'avec le FLN, Abdelhamid Kermali, profitant des accords d'Evian du 18 mars 1962, revient au football de club. Il retrouve l'USM Sétif, pendant quatre années, avant de mettre un terme à sa carrière de joueur par une saison à l'ES Sétif. 

C'est ensuite en tant qu'entraîneur que le « sorcier », encore un nouveau surnom, va se faire remarquer. Directement embauché par l'ES Sétif, il introduit le 4-3-3 dans le pays, et met en place un jeu aux accents ajacides, fait de redoublements de passes. Après avoir donné cette identité à l'ES Sétif, il se fait connaître en entraînant dans l'est du pays, dans l'ouest et dans le centre ; un fait quasiment unique dans l'histoire du football algérien. En sus, il entraînera en Libye dans le golfe arabo-persique et en Tunisie. Il marquera ensuite les esprits du football algérien tout entier en remportant en tant qu'entraîneur la Coupe d'Afrique des Nations 1990, le seul titre international jusqu'à présent du pays au drapeau floqué du croissant rouge et de l'étoile.

Sa personnalité d'entraîneur génial - un des meilleurs du continent africain dans la deuxième moitié du vingtième siècle - se double en plus d'une gentillesse sans égal. Mais voilà, même les meilleurs s'en vont. C'est un 13 avril 2013, à Sétif, que l'aigle Abdelhamid Kermali s'envole définitivement.

 

Image d'illustration : L'équipe du FLN. Abdelhamid Kermali est accroupi au premier rang, deuxième en partant de la droite.

À propos de l'auteur

Cet article a été rédigé par NSOL31, membre du Café du Commerce OL.