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Bilan 21/22 : À la recherche du temps perdant

Le 30.05.2022 par MatthiasT

Pour la deuxième fois en trois ans, l’Olympique Lyonnais termine la saison non seulement bredouille mais hors des places européennes. Alors que l’avenir dira si ces septième et huitième places relèvent de la contreperformance ou de la rentrée dans le rang, la direction fait face à un été charnière pour remédier au fiasco sportif, lui-même accompagné du fiasco de gouvernance qu’est la fin de l’« ère » Juninho. Vient alors la tentation du réactionnaire et du retour au cycle 2016-2019. Problème : le club fonctionnait déjà mal.

Mirage des 2000s

La huitième place, les cinquante-et-un buts encaissés et la rupture consommée entre les supporters et toutes les composantes de l’équipe de football masculine de la holding de divertissement Olympique Lyonnais Groupe viennent briser une illusion que la dernière décennie maintenait sous perfusion : les objectifs du club sont incompatibles avec la gestion de son effectif comme d’un panier d’actions en bourse. Un club de football ne peut survivre et performer au plus haut du niveau européen et dans un championnat du Big 5 en cherchant la rentabilité à chaque mercato. Dans cette optique, chaque transfert est une vague contribuant à l’érosion de la qualité dans l’effectif professionnel.

Ne nous trompons pas. Nous ne devons pas l’évanouissement de ce mirage à une saison mal gérée parmi tant d’autres sans faux pas. Si 2021-2022 est effectivement un naufrage de management, elle n’est malheureusement pas une aberration. Elle ne fait que répondre à une logique perpétuée sur une décennie. Certes, d’autres projets avant-gardistes comme la propriété de son propre grand stade et les investissements soutenus dans le football féminin, ainsi qu’une crise aussi grave qu’exceptionnelle due à la pandémie ont pu à certains moments imposer la voie de l’achat-revente. Mais cette stratégie de trading ne pouvait fonctionner que grâce à des générations dorées sorties in extremis du centre de formation ou à de providentielles individualités bien senties sur le marché – et par « fonctionner », entendez « surtout dans les matchs à forte visibilité », car les « assets » aussi jouent leur petit jeu. Quand il n’y a ni l’un ni l’autre, un club bien géré fait une saison trou d’air. Un club mal géré rentre dans le rang pour quelques années voire décennies. Lequel de ces clubs voudra être l’OL ?

Les illusions perdues

L’OL, après une saison où il n’y a effectivement eu ni l’un ni l’autre, se retrouve de fait à un tournant de son histoire. S’il était envisageable, et normal, que cela arrive tôt ou tard, l’affaire prend une tournure légèrement plus dramatique en ce que ce drame coïncide avec les ultimes ratés et la chute de l’ère Juninho – et ici, la causalité rejoint la coïncidence à bien des égards, mais pas tous. Le club rhodanien prendra donc ce tournant en devant choisir une forme de gouvernance. Gouvernance qui pourrait, par-dessus le marché, être impactée par l’arrivée prochaine de nouveaux investisseurs, conséquence des départs d’IDG et des Seydoux, mais que nous envisagerons dans cet article par le prisme d’un scénario où Jean-Michel Aulas garderait la main.

Et comme c’est de coutume dans la nature humaine, le club envisage sa prochaine politique en regardant un passé fantasmé. Tel un Ronald Reagan souhaitant « rendre sa grandeur à l’Amérique » en s’inspirant d’un modèle sur-idéalisé des années 50, voilà que les dirigeants de l’OL désirent réinstaurer la formule de gouvernance du cycle 2016-2019. Exit le poste de directeur sportif. Retour, si tant est qu’on l’avait réellement quittée, à la suprématie présidentielle armée d’un cercle de conseillers – bien que le poids des années impose plus de distance au chef quant à la gestion quotidienne, et plus de pouvoir au premier conseiller actuel, un autre Vincent, Ponsot, devenu quasi président exécutif de facto – et dont un chef du recrutement actualise la vision sportive. Fin probablement aussi, après le bail actuel, de la brève expérience des entraîneurs et autres membres du staff étrangers. Et voilà que l’on se met à répéter à qui veut bien l’entendre, comme lors d’une fin de relation toxique, que les anciens copains partis dans d’autres clubs de Ligue 1 nous manquent (enfin, on imagine surtout ceux de Rennes, car les autres auraient probablement été payés à leur juste valeur s’ils étaient tant de nature à manquer).

Memphis contre l'OM, ou les ravages de la nostalgie (Crédits : Stéphane Guiochon)

Seulement voilà, l’ère de l’ « ADN lyonnais », la période Bruno Genesio, si l’on peut la nommer ainsi, n’est absolument pas une époque à retrouver. C’est au contraire le péché originel de la suffisance, de la culture de l’excuse, de la naïveté et de l’indiscipline tactique dont se plaint aujourd’hui Peter Bosz, ainsi que du hourra football à individualités. Celui-là même qui crée ces moments légendaires et fabrique l’illusion d’une époque de « beau football ». Mais, comme disait un grand penseur, « le problème dans le football, c’est qu’il y a des matchs ». Et ils sont tous disponibles sur OL Play (4.99€/mois).

Faites-y un tour, et vous verrez, par exemple, à quel point l’illustre match contre la Roma est d’abord une déroute collective infligée par un Luciano Spalletti tout aussi moyen et au moins autant décrié chez ses supporters que Genesio à l’époque. Vous verrez à quel point les nombreux « gros matchs » que l’OL « gagnait tout le temps » (pas tant, en réalité), devaient être moyens pour qu’on n’en retienne que des exploits individuels. Pour rendre à César, comme souligné à l'époque, il y eut des réussites tactiques, aussi vraies que rares, sous Genesio. Nommons les confrontations contre Pep Guardiola et celles contre le Hoffenheim de Julian Nagelsmann. Des matchs où la complexité inhabituelle des systèmes et du plan de jeu nous feraient presque douter sur les capacités tactiques de Genesio – peut-être les avait-il, mais ne daignait pas les utiliser contre le reste de la Ligue 1.

Triumvirat bien qui rira le dernier

Sur le plan de la politique sportive à plus grande échelle, car Genesio n’est pas la cause de tous les maux, simplement un entraîneur maintenu trop longtemps alors que loin d’être taillé pour le poste, un symptôme, l’époque de l’ADN OL caractérise également un OL qui accuse dix ans de retard sur le football européen moderne. Pas de planification à long terme. Pas de projet sportif. Rien que le recrutement, pensé la plupart du temps sans direction claire et souvent constitué de joueurs affrontés en Ligue 1 ou en Europe, peinait à cibler un profil et ne respectait pas toujours les postes prioritaires – combien de joueurs d’axe ont dû faire le boulot sur les côtés ? Pas de philosophie de jeu non plus, hormis chez quelques sections du centre de formation, ce qui rend le tout et l’absence de liant vers l’équipe professionnelle encore plus frustrants.

Un ensemble de choix politiques ou de suffisance auquel même les gros investissements promis – investissements bruts, en réalité, car du côté du net, l’OL devra encore vendre plus qu’il n’achètera – ni les entraîneurs fantasmés ne pourront remédier sans profonde remise en question qui, de son côté, ne coûte pas si cher. Or, un retour de l’ancien cycle, si ce n’est un retour des anciens à proprement parler, où le caractère et le passif semblent encore et toujours jouer un plus grand rôle que la compétence, ne saurait l’accomplir. Bien au contraire.

Peter Bosz, Rob Maas, Claudio Caçapa et Rémy Vercoutre, étrange "en même temps" d'ADN lyonnais et de modernité. (Crédits : Stéphane Guiochon)

Si le retour à un fonctionnement passé (qui fonctionnait mal, donc) est celui des anciens et des copains ; celui d’un club qui refuse de faire passer son équipe première masculine dans l’ère méthodologique des années 2010, en 2022, et ce alors que toutes les autres composantes et initiatives du club se montrent entreprenantes et novatrices ; celui d’un directeur du football qui avise et tranche parfois sur le sportif sans en avoir les compétences ; alors cela ne fonctionnera toujours pas, ou au mieux, seulement en trompe-l’œil.

Et si le retour à un fonctionnement passé est celui d’un organigramme plus clair et moins conflictuel, un retour à un triumvirat où chacun a un poste bien délimité et ne se fatigue pas dans une lutte de pouvoir interne, alors tout le monde le souhaite, évidemment. Et regrettera que l’idée n’ait pas été effleurée lors du cycle précédent. Mais même dans ce cas, c’est un plan quelque peu léger pour refaire de l’OL un club du top 4 français.

Le carrefour des possibles

Voir l’OL devenir un club du ventre mou est-il alors inévitable ? La question est plutôt de savoir si les dirigeants se remettront en question. Car se dire « les années Juninho n’ont pas marché, reprenons comme c’était avant » mènera inévitablement vers la dépendance aux miracles venus du centre de formation et à la détérioration progressive de l’effectif par le trading. Bien que Jean-Michel Aulas et Vincent Ponsot aient martelé leur volonté de se remettre en question en conférences de presse, ils annoncent dans le même temps « cherche[r] des investisseurs avec qui valider [leur] stratégie ». Est-ce bien révélateur d’une remise en question prochaine ?

C’est peut-être d’ailleurs par cet ou ces investisseurs que le salut viendra. Il est en effet rare de trouver des investisseurs participant à hauteur de plus de 20% sans désirer de pouvoir décisionnel. Si la remise en question volontaire ne vient pas, peut-être sera-t-elle alors imposée.

Tout n’est pas noir par ailleurs. L’EBITDA va bien, les objectifs pré-covid détaillés dans les bilans de résultats sont maintenus, l’OL a choisi de traverser la crise dans l’austérité en minimisant la prise de risque et en gardant une trésorerie à flot. Aujourd’hui, relance de l’événementiel peut rimer avec relance de l’OL. Mais, sportivement, la croisée des chemins que l’OL doit regarder pour insuffler son nouveau souffle, c’est celle de la fin des années 90. Pas celle des années 2010. Car si cette rentrée dans le rang de club de ventre mou n’est pas inévitable à l’heure actuelle, c’est un risque réel qui nécessite une plus grande refonte et de plus grands investissements que les dirigeants semblent penser.

À propos de l'auteur

Cet article a été rédigé par MatthiasT, membre du Café du Commerce OL.