D'où l'importance du staff
Le 04.11.2019 par owaiogLe succès d’une équipe de football se construit sur plusieurs paramètres. La qualité intrinsèque des joueurs est certes une base, mais la tactique mise en place par l’entraîneur est toute aussi importante. Si une multitude de données entre évidemment en compte, celle qui nous intéresse plus particulièrement ici est la qualité de l’encadrement technique chargé d’accompagner l’entraîneur principal dans sa mission. Bien que parfois mis de côté, cet aspect est pourtant prépondérant dans la construction du succès pour un club professionnel. D’où l’importance de porter une attention particulière à sa composition et à son évolution…
Retour à l’été 2011. Au sortir de 3 années compliquées sous la houlette de Claude Puel, Jean-Michel Aulas décide de nommer Rémi Garde entraîneur. L’enfant du club est alors accompagné de Bruno Genesio et de Gérald Baticle en adjoints, de Robert Duverne en préparateur physique et de Joël Bats en entraîneur des gardiens. Des hommes bien connus de la maison qui doivent incarner le renouveau lyonnais. Une manière également de s’éviter des frais liés à un staff venant de l’extérieur, au moment où le club entame une période de vaches maigres. Mais si les sceptiques brandissent l’argument financier, ce nouveau staff fait en tout cas l’unanimité en interne, à l’image de Maxime Gonalons qui confiait à l’époque « on se sent plus à l’aise, […] le dialogue a été renoué. Il y a plus de discussions entre le staff et les joueurs, ce qui n’était pas forcément le cas la saison dernière ». Les sourires reviennent sur les visages du côté de Tola Vologe, tout comme dans les travées de Gerland où les supporteurs apprécient le retour de cette identité très locale. En bref, ce choix semble parfaitement adapté à la situation d’alors.
Oui mais voilà, depuis cette petite révolution de 2011, aucun changement majeur n’a été à signaler dans le staff de l’Olympique Lyonnais. Lorsque Rémi Garde jette l’éponge en mai 2014 après 3 saisons éprouvantes, le président Aulas affiche sa volonté de privilégier « toute solution qui permette d’intégrer la totalité du staff existant ». Et Hubert Fournier n’arrivera effectivement qu’avec son adjoint Michel Audrain et un préparateur physique, Laurent Bessière, qui remplace un Robert Duverne en fin de contrat. Pour le reste, le nouvel entraîneur devra s’appuyer sur l’encadrement déjà en place.
Un staff qui bouge peu au fil des ans
De mauvais résultats en première partie de saison 2015-16 pousseront finalement Jean-Michel Aulas à remplacer Hubert Fournier par son adjoint Bruno Genesio à la veille de Noël. Là encore, le club à travers un communiqué dit avoir étudié « différentes hypothèses (arrivée de techniciens étrangers, français, promotion en interne) », mais décide de « privilégier l’unité institutionnelle » en confiant le poste à l’adjoint de l’entraîneur sortant. Le staff, dans la lignée de cette décision, reste donc inchangé. Seul Claudio Caçapa vient s’ajouter, en qualité d’entraîneur des défenseurs. Un autre ajustement aura lieu en décembre 2017, quand Joël Bats quitte le club pour rejoindre Rémi Garde à Montréal. Il sera remplacé en janvier 2018 par son ancien protégé Grégory Coupet, qui occupait jusqu’alors le poste d’entraîneur des gardiens de l’équipe réserve. Mais malgré ces quelques réglages, l’identité du staff reste globalement la même tout au long de l’ère Genesio.
Et le départ de ce dernier à l’été 2019 n’aura finalement pas non plus changé la donne. Lors de la conférence de presse de présentation de Juninho et de Sylvinho, l’ancienne idole de Gerland a répété qu’il était là pour « travailler dans la continuité ». Cette volonté a d’ailleurs été l’une des principales motivations dans le choix de son compatriote brésilien. Ce dernier n’a donc amené dans ses valises que le seul Fernando Lazaro, analyste vidéo de la sélection brésilienne. Pas de staff élargi, pas de grande refonte à l’aube de ce qui était pourtant vu par les supporteurs comme une révolution. Une occasion peut-être ratée de profiter de l’intersaison pour changer l’organigramme plus en profondeur…
Car Rudi Garcia est lui aussi arrivé avec un staff limité, là où les discussions avec Laurent Blanc semblaient indiquer une volonté de ce dernier de constituer un staff complet. Mais la question de la compatibilité de l’ex-sélectionneur des Bleus avec les membres lyonnais déjà en place aura finalement eu raison de sa candidature. Le comité restreint chargé de décider du nouvel entraîneur considèrera que « quand un entraîneur arrive à Lyon en cours de saison, garder le staff est plus un avantage qu’un inconvénient ». C’est pourquoi Rudi Garcia n’arrive qu’avec 2 adjoints, Claude Fichaux et Christophe Prudhon, afin de s’inscrire « dans la continuité de la stratégie mise en place par Juninho ». À nouveau, l’argument de la continuité est mis au premier plan, bien qu’il puisse davantage s’entendre dans le cadre d’un changement en cours de saison. Un argument qui aura en tout cas semblé décisif dans ce choix « dicté par l’urgence ».
Une stratégie pertinente ?
La question de la pertinence de cette stratégie commence néanmoins à se poser parmi les suiveurs du club, particulièrement au vu de ce début de saison raté. Il n’y a pourtant pas que des inconvénients à conserver la même structure de staff au fil des années ; l’argument si souvent entendu de la continuité est parfaitement recevable, tout comme l’argument financier. Monter un staff, cela coûte cher, et pendant longtemps les finances du club n’ont pas permis de développer cette idée. Le fait de s’appuyer sur les mêmes hommes permet également d’éviter une trop grosse rupture dans les méthodes de travail par exemple, où dans les relations avec les joueurs. Cela facilite l’arrivée d’un entraîneur dans son nouveau club et lui fait gagner du temps, là ou un changement complet mettrait plus de temps à porter ses fruits. C’est d’ailleurs la principale raison qui a poussé le boss de l’OL à chercher en priorité des entraîneurs seuls, qui accepteraient de travailler avec la structure en place.
Surtout, cette stratégie ressemble à une traduction directe du fort esprit corporate qui règne chez le septuple champion de France. La tendance à l’entre-soi ne date en effet pas d’hier à Lyon ; Alain Perrin en 2007 avait conservé le staff de Gérard Houllier, où l’on retrouvait déjà à l’époque Robert Duverne, Joël Bats ou encore Bruno Genesio. Un an plus tard, Claude Puel n’arrive qu’avec son adjoint Patrick Collot. Mais les départs de Robert Duverne et de Bruno Genesio en 2009, pour se consacrer respectivement à l’Équipe de France et à la réserve de l’OL, pousseront tout de même l’ancien lillois à modifier son staff, occasionnant une perte de l’identité lyonnaise si chère à Jean-Michel Aulas. Et c’est cette identité que « JMA » cherchera à retrouver en 2011 en nommant Rémi Garde et en faisant revenir l’ancien staff. Depuis, les exemples de Claudio Caçapa et Grégory Coupet, anciennes gloires du club venues se joindre à l’encadrement, illustrent bien cette tendance. Le président lyonnais soulignait d’ailleurs en 2014 « la volonté d’intégrer au sein de l’institution OL des gens qui ont la fibre ou l’ADN du club ». Le recrutement se fait donc d’abord en interne, comme lorsqu’Antonin Da Fonseca, ex-adjoint de Patrice Lair chez les féminines, intègre le staff d’Hubert Fournier en tant que préparateur physique. Plus récemment, c’est au tour de Cédric Uras, ancien joueur formé à l’Olympique Lyonnais reconverti préparateur athlétique, de passer de l’encadrement des U19 féminines à celui de l’équipe fanion. Cet état d’esprit permet ainsi au club de se prévaloir d’une véritable identité, censée le fédérer à tous les niveaux. Ce n’est pas pour rien que le terme « institution » revient si souvent du côté du Groupama Stadium.
Des limites évidentes
Pourtant, les difficultés de l’OL cette saison soulignent bien les limites de ce modèle. Outre la question de la compétence, le problème est que portées par les mêmes hommes, les idées perdurent. Comment dans ces conditions imaginer un changement, une rupture ? Des idées ou méthodes qui ont fait leurs preuves continueront d’être utilisées et c’est une bonne chose. Mais des idées moins bonnes, ou qui mériteraient d’être renouvelées, risquent de rester elles aussi. Les supporters lyonnais se plaignent par exemple de plus en plus du rendement de joueurs comme Lucas Tousart ou Bertrand Traoré, pour ne citer qu’eux. Ces joueurs conservent malgré tout une importante cote de crédit auprès du staff, et les changements d’entraîneur successifs n’ont pas altéré leur temps de jeu. On peut donc imaginer que l’idée de continuer de s’appuyer sur ces mêmes joueurs, même si ceux-ci sont défaillants, ne vient pas de l’entraîneur mais plutôt des adjoints. Et bien qu’ils aient probablement leurs raisons pour pousser en ce sens, ce type de management ne semble clairement pas adapté à un club comme l’OL où le talent des joueurs et la cohérence tactique devrait primer sur le reste. De la même manière, conserver des éléments dans l’équipe technique sans vraiment les inquiéter peut avoir un effet néfaste sur le renouvellement des méthodes. La présence ininterrompue de Gérald Baticle depuis plusieurs années pose à questionnement ; sa longévité n’est certes pas un motif de remplacement, mais sans renouvellement de sa part les joueurs peuvent avoir besoin de nouveauté, de voir autre chose. Comme c’est d’ailleurs le cas pour tout entraîneur… Les méthodes de travail ne durent pas éternellement, et si le staff en place ne se renouvelle pas alors c’est une raison pour en changer.
Conserver le staff technique lorsqu’un nouveau coach arrive au club peut également générer des problèmes d’incompatibilité, et le départ d’Alain Perrin en 2008 en est un exemple édifiant. Remercié après un doublé Coupe-Championnat historique pour l’OL, l’ex-sochalien déplorait par la suite l’attitude de son staff technique, estimant que celui-ci ne voulait pas travailler avec lui. Il confiait alors avoir dû se limiter à « acheter la paix sociale, pour fonctionner à minima » et « gérer l’indiscipline des joueurs ». L’aversion du staff pour de nouvelles méthodes se fait également sentir dans son discours : « je me concentrais uniquement sur la tactique et la technique. Mais, là aussi, c’était compliqué. Il y avait un refus systématique des choses nouvelles ». « Bats, Duverne, un peu moins Genesio, avaient leur mode de fonctionnement. La légitimité de leur parcours semblait leur permettre de me dire non ». Ces difficultés auront finalement raison du mandat d’Alain Perrin à Lyon, puisqu’en fin de saison Jean-Michel Aulas préférera conserver son staff plutôt que son entraîneur. Et même si la faute n’est pas entièrement imputable aux membres du staff, puisque le caractère et la personnalité de l’entraîneur jouent aussi dans ce type de situation, il est évident que l’alchimie entre un staff en place et un nouvel entraîneur ne peut pas toujours prendre.
À un degré moindre, on peut également supposer un manque d’envie de la part du staff lors des dernières semaines de Sylvinho. Les méthodes trop rigides où différentes du brésilien pourraient, au fil des matches, avoir découragé un staff qui n’était pas le sien et qui n’aurait pas adhéré à ce type de management. Cela expliquerait donc en partie les difficultés lyonnaises pour se sortir de la spirale négative, et par extension la nécessité de changer de coach.
Enfin, outre ce problème de compatibilité entre l’entraîneur et son nouveau staff, la grande limite du modèle lyonnais est l’impossibilité de faire venir un « grand coach ». Tous les grands entraîneurs se déplacent de club en club avec leur propre équipe technique, des gens qu’ils connaissent, avec qui ils ont l’habitude de travailler et qu’ils savent à même de transmettre leur message. Qui verrait Pep Guardiola ou Jürgen Klopp arriver seuls dans un club, sans leur équipe technique ? Marcelo Bielsa était également arrivé à Marseille avec un staff complet, démontrant sa volonté de contrôler l’ensemble des opérations au club. Et c’est peut-être ce qui manque à l’Olympique Lyonnais pour attirer un coach de grande envergure. Le désir de contrôle de Jean-Michel Aulas sur le club qu’il a mené au plus haut niveau est sans doute à pointer du doigt. Malgré la nomination de Juninho en directeur sportif cet été, qui montre une certaine volonté de prendre du recul de la part de l’homme fort du club, le modèle lyonnais et sa continuité reste tenace. Le président lyonnais s’est ainsi toujours refusé à « prendre un entraîneur qui ne parle pas français, ou qui arrive avec un staff pléthorique », et même si la nomination de Sylvinho était un premier pas, le club n’est pas allé au bout de la démarche en ne lui donnant pas tous les outils nécessaires à sa réussite.
Peut-être un début de solution…
Avec l’arrivée de Rudi Garcia, un compromis semble avoir été trouvé dans la capitale des Gaules. Le technicien français à certes accepté de travailler avec l’équipe en place, mais il a aussi obtenu l’assurance de pouvoir lui apporter des retouches. Ce qui s’est traduit notamment par l’arrivée de Paolo Rongoni en tant qu’entraîneur adjoint en charge de la préparation physique. Dans l’animation des séances également, Gérald Baticle est maintenant plus en retrait par rapport à Claude Fichaux, tout comme Claudio Caçapa ne prend plus place sur le banc de touche lors des matches.
Ces premiers éléments laissent donc augurer un début de changement à Lyon. Pour le meilleur ou pour le pire ? Les supporteurs lyonnais sont pour le moment peu enthousiastes à l’idée de voir l’ex-coach phocéen ramener l’ensemble de son équipe entre Rhône et Saône, mais peut-être cette transition sera-t-elle bénéfique pour l’OL. Et une modification durable de la stratégie de constitution du staff technique n’est pas forcément une mauvaise chose… avec ou sans Rudi Garcia, après tout.