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Gone With the Win (le jour où je suis devenu Lyonnais)

Le 13.05.2021 par MartinT

Comment est-il possible de nouer un lien à vie avec un club de football ? D’où nous vient cette folle résilience, cette foi par moments désespérée, rarement récompensée, surtout ces dernières années ? Comment est-on tombés dans la marmite et pourquoi refuse-t-on de s’en extraire ? Comment en est-on arrivés là ? Pourquoi l’Olympique Lyonnais ? Vous, je ne sais pas. Moi, et bien…

Le mois de Mai de l’an de disgrâce deux mil vingt et un vient de pointer le bout de son nez (masqué, enfin – normalement et jusqu’à contre-ordre). Cela fait maintenant plus d’une année entière que l’Univers a décidé, avec notre semi-ferme et de toute façon trop tardif désaccord, que nous avions collectivement besoin de nous reclure quelque temps et de cogiter chacun de son côté, sereinement et sans le dérangement d’une vie sociale trop foisonnante sur « La Grande Question Sur La Vie, L'Univers Et Le Reste ».

Ladite question étant la suivante : « comment est-il possible de nouer un lien à vie avec un club de football ? », il paraît évident que pour toute personne ayant un semblant de goût, elle n’aura pas pour réponse « 42 ». Not this time. Not on my watch.

Nous autres supporters Lyonnais sommes particulièrement bien placés pour débattre du sujet et en explorer les origines. En effet, notre club a depuis maintenant une bonne dizaine d’années adopté la trajectoire sinusoïdale d’un rollercoaster, mettant ainsi avec une machiavélique régularité nos nerfs, nos murs, nos tables basses, la patience de nos moitiés et l’intégrité physique de nos télécommandes à très rude épreuve – et ce, alors même que nous sommes désormais tous (enfin, presque tous) parfaitement capables de prédire la tournure des événements d’une saison de l’Olympique Lyonnais avec une précision frisant le diabolisme. Nous savons que lorsque l’on commence à y croire sérieusement, c’est mauvais signe. Nous savons que quand ça commence à sentir bon, c’est suspect. Nous savons que même la magie de l’USAP (« Union Sacrée Annuelle du Printemps ») ne transformera pas un point faible en point fort. Nous savons. Et pourtant, nous persistons. Nous croyons. Nous râlons. Nous pleurons et nous ironisons. Mais nous persistons.

D’où nous vient cette folle résilience ? Cette foi par moments désespérée, rarement récompensée, surtout ces dernières années ? Comment est-on tombés dans la marmite et pourquoi refuse-t-on jusqu’à ce jour de s’en extraire alors même que le fumet et la saveur de son contenu varient aussi régulièrement entre le (parfois) succulent et le (souvent) douteux ?

Comment en est-on arrivés là ? Pourquoi l’Olympique Lyonnais ? Et pourquoi, l’Olympique Lyonnais ? Vous, je ne sais pas. Moi, et bien…

Peut-être faut-il invoquer l’hérédité ? C’est une option, dans bien des cas. La plus belle, peut-être. Mais en l’espèce, papa étant ancien volleyeur, il ne suivait pas le foot très assidûment et n’a donc pas pu inoculer le virus au fiston. Maman, de son côté, s’en cognait du sport.

Peut-on imaginer un choix, tout simplement ? « Tiens, ce club a l’air bien, je vais le supporter. » Non, ça ne fonctionne décemment pas de cette manière. Ce n’est pas une question de choix, jamais. Un club qu’on choisit n’est pas un club qu’on aime. 

Le hasard, alors ? On tient possiblement quelque chose. Mais le mot n’est guère flatteur. Cherchons-lui un sobriquet.

Attendez. Je l’ai. Le momentum. Voilà. C’est une question de momentum.

Momentum Lugdunum est

L’adolescent un peu déprimé que j’étais, à qui ses parents annoncent qu’il va devoir une nouvelle fois être déraciné et quitter un pays qu’il connaît (en l’occurrence la Pologne) pour rejoindre un autre pays qu’il connaît (la France – c’est une longue histoire, faite d’allers-retours-détours) mais une ville dont il ignore tout (après avoir vécu une partie de son enfance cosmopolite en banlieue parisienne ; personne n’est parfait) se doute-t-il que quelques jours après son arrivée, dans un stade certes pas flambant neuf mais doté d’un charisme certain, habité d’une riche histoire et guettant un glorieux avenir, ce momentum viendra de manière spectaculaire à sa rencontre ? Peu probable. Et s’il affirme le contraire, il ment. Oh, il a certes demandé – d’aucuns diraient « exigé » - que son père, cet ingrat, l’emmène voir le grand Inter Milan de Ronaldo, Djorkaeff, Zanetti, Simeone, Recoba, Zamorano, Kanu et bien d’autres affronter l’équipe locale. Cela lui serait d’un grand secours afin de faire passer la pilule de ce énième déménagement. Toutefois, le concept de départ n’avait à priori aucun lien avec l’Olympique Lyon (oui, c’est comme ça que les Polonais appellent cette fameuse équipe locale, pourtant le « -nais » ne fait pas partie des sonorités les plus compliquées que propose la langue de Maciej Rybus).

Ronaldo contre l'OL en 1997 / © Photo Archives Progrès Richard MOUILLAUD

Non, lui, son rêve, c’était de pouvoir humer le grand, le très grand football. Lui, élevé au misérable football de club polonais du milieu des années 90. Lui, dont les quelques maigres expériences de stade se limitaient aux travées de l’arène bouillante mais préhistorique du Legia Varsovie, desquelles il a pu assister à quelques matches de ce championnat de district européen – travées qui lui ont également permis d’être le témoin privilégié de la rencontre amicale internationale d’une Pologne qui avait choisi ce soir-là de se priver de ce grand énergumène moustachu de Grzegorz Lewandowski (aucun lien, il est fils unique) et de la Hongrie de…de onze joueurs hongrois. Toutes ces expériences enivrantes ne lui suffisant pas, lui veut profiter de l’aubaine pour admirer de près la superstar R9 et sa constellation de brillants satellites, qu’il a jusqu'ici eu l’occasion de contempler uniquement sur l’écran de sa télévision et sur les posters brillants du mensuel « Pilka Nozna ».

Bak to the future

Mais c’était sans compter avec le momentum. Ce fameux momentum qui, au moment de l’achat des billets pour OL - Inter, a décidé de le situer en tribune Jean Jaurès Inférieure, à proximité immédiate du volcanique Virage Nord. Ce satané momentum qui, lors du match, a donné ses ailes de noblesse à un joueur de l’Olympique Lyon-NAIS pour l’aider à scorer un but somptueux, précisément devant ses yeux d’adolescent plus du tout déprimé sur l’instant. Cet impertinent momentum qui a choisi ce même but pour incarner l’espoir de tout un stade, une ville, l’espoir d’un exploit sportif qui n’aura finalement pas lieu, mais qu’importe. Cet incroyable momentum qui a décidé que ce joueur ne serait pas n’importe quel joueur, mais le seul élément polonais de l’effectif local – le fabuleux Jacek Bak.

Oui, c’est certain : c’est une question de momentum.

C’est encore ce diable de momentum qui le pousse très rapidement à s’abonner, à s’encarter, avec les BG87 d’abord, au sein du KVN ensuite, pour des dizaines, des centaines d’heures passées à s’égosiller par temps estival, hivernal, pluvieux, neigeux (Coupe de la Ligue, OL-MHSC on ice, ce 0-2 frigorifique). Ce même momentum qui se plaît ensuite et dans un premier temps à lui proposer des moments électriques (Delmotte, le derby, le temps additionnel, les poings martelant la pelouse) en alternance avec de cruelles désillusions (Maribor, ça devait être une formalité). Le momentum qui l’a poussé vers un nouveau détour par la Scandinavie, où il s’est lié d’amitié avec un Allemand fanatique du Werder Bremen – ami Grün-Weiß avec qui il suivra le tirage au sort d’une deuxième phase de Ligue des Champions qui avait jusque-là vu leurs deux clubs briller. Ami Grün-Weiß qu’il accompagnera quelques semaines plus tard en sa terre natale, à Brême, au Weserstadion, un soir de février 2005 – en tribune locale, latérale, loin de sa meute lyonnaise mais au plus bel emplacement possible pour suivre au radar la trajectoire du coup-franc du meilleur numéro 8 de l’histoire des numéros 8, qui pourtant était un peu loin, Jean-Michel. Un momentum qu’il ne haïra pas pour l’avoir emmené du côté de San Siro un soir de printemps 2006, parce que le voyage aller en train était bien trop mémorable, parce que Giuseppe Meazza était à nous, et puis parce que quand on aime, il faut aussi savoir souffrir. Il ne le détestera pas non plus après ce 2-5 encaissé au Camp Nou, parce que malgré la déception, il commençait à prendre conscience que ce petit numéro 10, l’enfant de Bron, allait mettre le plus grand club du monde et plus généralement le football dans sa poche.

Il y a possiblement cette fois où il s’est demandé si le momentum lui voulait vraiment du bien, quand celui-ci a détourné le regard l’espace d’une seconde, permettant à Kim Milton Nielsen d’en faire de même et de marquer d’une cicatrice indélébile l’histoire du club et les souvenirs de ses supporters. Mais ça n’a pas duré. Comme dans toute relation, on n’oublie pas, on passe à autre chose – et on persiste.

Oui, c’est bel et bien une question de momentum. Fera donc office d’épilogue cet hommage à l’une des banderoles les plus emblématiques du Stade de Gerland : « Merci, le momentum, de m’avoir rendu lyonnais ».

À propos de l'auteur

Cet article a été rédigé par MartinT, membre du Café du Commerce OL.