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Les raisons de la colère

Le 23.12.2019 par MatthiasT

Le mardi 10 décembre dernier scellait paradoxalement à la fois la première et bien seule satisfaction de la saison et le paroxysme d’un ressentiment entre le club et ses supporters. Inutile de revenir sur l’altercation en elle-même. Connue de tous et toujours chaotique, elle n’est que la conséquence d’une gestion à long terme désastreuse qui, quant à elle, vaut la peine d’être pointée du doigt. Comment l’OL a-t-il pu à ce point s’éloigner de ses supporters en 2019 ?

Virage raté

Il faut pour cela remonter à fin 2015. Hubert Fournier vient d’être remercié. C’est à ce moment là que le contexte est propice à la fin de la disette et à la concrétisation d’ambitions jusque-là refoulées depuis le dernier titre. En effet, l’effectif est globalement de bonne qualité – il s’est même retrouvé à jouer le titre la saison précédente – et aimé. Composée de joueurs comme Lopes, Umtiti, Rafael, Tolisso, Darder, Fekir et Lacazette, cette génération entrera enfin dans le nouveau grand stade moderne censé faire passer un cap au club. De plus, les mercatos ambitieux sont de nouveau possibles. Car si les emprunts du stade sont à rembourser jusqu’en 2024, la situation financière pérenne permet d’allier les deux.

Mais ces mercatos ambitieux, justement, ne passent pas seulement par l’achat de joueurs plus confirmés ou prometteurs que la soupe froide servie entre 2011 et 2014. La nomination d’un coach de plus grand standing est aussi primordiale. Et à l’époque où le seul entraîneur étranger de l’histoire de l’OL est encore Vladimir Kovacevic entre 1981 et 1983, tout semble aligné pour enfin franchir le pas d'un bon tacticien expérimenté. Les promesses de Jean-Michel Aulas sont grandiloquentes. Des noms sortent. Marcelo Gallardo mais surtout Lucien Favre, qui viendra ensuite faire les beaux jours de Nice et confirmera lui-même la prise de contact avec l’OL à ce moment-là, sont mentionnés.

Pour remplacer Hubert Fournier, ce sera finalement une vulgaire promotion de l’adjoint, Bruno Genesio, dont la médiocrité tactique n’a pas attendu les projecteurs de la Ligue 1 pour s’exprimer. Pas d’audace, pas d’ambition, pas de récompense. Mais surtout un mensonge de la direction. Et la première déception d’une longue série durant laquelle les supporters seront pris, au mieux, pour des simplets.

La fracture

Les six premiers mois de Bruno Genesio à la tête de l’Olympique Lyonnais sont, avec du recul, miraculeux. Il sort l’OL du ventre mou où il s’était échoué à la mi-saison pour arracher une deuxième place. Mais le naufrage n’est qu’à venir. Le bilan sportif des trois (!) prochaines saisons n’est, contrairement à ce qu’Aulas a voulu faire croire à tout le monde, absolument pas satisfaisant ni digne de l’OL. Du mandat Genesio, on ne retiendra que l'épopée en Europa League 2017. Mais si elle est aussi spectaculaire et mémorable, c'est en grande partie parce que l'OL de Genesio n'est pas capable de gérer ses matchs et repose largement sur des exploits individuels.

Du reste, aucun trophée, des parcours honteux en coupes, aucune deuxième place et même une quatrième, des qualifications en Ligue des Champions qui ne reposent que sur le fait que le vainqueur de l’Europa League soit déjà qualifié via son championnat, un fond de jeu indigne et vide, des contre-performances à rougir, des matchs ennuyants à mourir. Cerise sur le gâteau, Genesio produit le tout en étant sans cesse conforté dans la médiocrité par des déclarations des dirigeants ou de l’intéressé lui-même souvent méprisantes envers les supporters. Signe qu’il fallait déjà faire le deuil de toute ambition entre Rhône et Saône.

La faille

Cela nous emmène à mai 2019. Bruno Genesio n’a pas prolongé. L’idole du club, Juninho, revient pour commencer sa carrière de dirigeant et établit d’entrée un projet cohérant et en phase avec les lacunes dont l’OL faisait preuve. C’est le moment des ambitions renouvelées, des violons et de la Fusée OL prête à viser la lune. Les jours sont doux, l’exigence de retour à Lyon, l’atmosphère vivifiante. Pour satisfaire ces nouveaux objectifs, il y a deux prérequis indispensables : un grand entraîneur et un mercato réussi.

Pour le premier point, Juninho doit sortir le plan B après l’indisponibilité de son premier choix, Jorge Sampaoli, et rapatrie donc Sylvinho. Ce n’est certes que son premier emploi en tant qu’entraîneur principal. Mais il inspire sympathie, confiance, et forme un duo charismatique avec Juninho. Tout le monde veut croire en leur compétence. Pour le passé de l’un, le discours de l’autre, et le très juste projet clairement et communément défini par les deux. Alors tout le monde y croit.

Le mercato, quant à lui, est ambivalent. Il est à la fois timide et ambitieux. Timide de par la vente sans plus de résistance de trois des meilleurs éléments de l’effectif : Fekir, Ndombele et Mendy. Timide aussi par la réticence et l’incapacité à vendre des joueurs moyens. Mais ambitieux de par les sommes dépensées avec trois recrues proches ou dépassant le plus gros transfert du club et un total historiquement haut. Malheureusement, le casting est tantôt mauvais, tantôt insuffisant pour remplacer les départs, même s’il encore difficile de dire si l’OL a bel et bien manqué son recrutement ou si les joueurs décevants ne le sont pas simplement à cause du climat délétère et d’un collectif limité.

La suite, on la connait. La lueur du renouveau est vite obscurcie par des idées de jeu contraires à l’OL et qui ne fonctionnent malheureusement pas. Les résultats ne suivent pas. Sylvinho est débarqué, Rudi Garcia embauché.

Chérie, j’ai rétréci les gones

Mais des mésaventures sportives, même enchaînées, arrivent à tous les clubs. Cela ne peut donc pas expliquer le ressentiment actuel. En effet, bien expliquée aux supporters, une gestion sportive timide aurait très bien pu ne pas mener à ces conflits ouverts entre club et supporters. Mais les promesses en l’air de Jean-Michel Aulas et la gestion calamiteuse de la communication vis-à-vis de la « fan-base » – et même sur des aspects aussi triviaux que les réseaux sociaux (quelqu’un aurait trouvé le moyen d’activer adblock sur le Twitter de l’OL ?) – ont vite brisé un équilibre fragile. L’atmosphère vivifiante est devenue hostile. À outrance, même, quand les joueurs sont sifflés individuellement. 

La courte période entre la demi-finale perdue face à Rennes, célèbre déchirure de l’union sacrée, et l’annonce du départ de Bruno Genesio, témoigne d’ailleurs d’un désamour creusé à un point de non-retour et contre les volontés de toutes les parties. Le club, d’ordinaire si proche de ses « actifs », en a oublié le plus fixe et sans doute le plus important : les humains se trouvant en tribune.

Rien que cette saison, et au-delà des résultats sportifs, le club se saborde par une accumulation d’erreurs de la direction dans son rapport aux supporters. Il y a le comportement de Marcelo à Lisbonne et ensuite, dont les circonstances restent obscures mais visiblement beaucoup plus problématiques que son niveau de jeu, mis sous le tapis. Il y a la nomination de Rudi Garcia, personnage particulièrement détestable du point de vue du supporter lyonnais ces dernières années, et alors qu’Aulas faisait miroiter du Laurent Blanc ou du José Mourinho tout en affirmant le ridicule de la rumeur Garcia. Enfin, il y a le fait de plus ou moins empêcher les joueurs d’aller saluer les supporters, à l’extérieur comme à domicile, ce qui semble être une consigne interne vu les témoignages et les agissements de la sécurité après le coup de sifflet final.

Ce dernier point est d’autant le plus grave qu’il agit comme une bombe à retardement. De la même manière que remplacer en panique un attaquant par un défenseur pour conserver le score dans un dernier quart d'heure de derby favorise les probabilités d'égalisation, repousser artificiellement l'incident ne mène qu'à un autre de plus grande ampleur. Cela n'a pas manqué. Ce mardi 10 décembre au soir, la fête de la qualification en huitième de Ligue des Champions s'est transformée en cauchemar.

L’huile sur le feu

L’incident reste flou. Mais les images montrant le caractère insultant du comportement de Marcelo à l’égard des supporters et de certains joueurs sont explicites. Par la suite, le joueur a jugé bon de tweeter une nouvelle attaque déguisée en mea culpa. Et le club n’a pas publiquement sanctionné ses agissements, allant même à jusqu’à l’honorer de deux titularisations sur trois possibles. Drôle de sens du respect de « l'institution ».

En parallèle, les acteurs principaux ont manqué le meilleur moyen de se faire pardonner, le meilleur coup de balai sous le tapis possible : le sportif. Malgré un stade et un parcage qui continuent de donner de la voix, les résultats et le contenu n’ont suivi ni contre Rennes ni à Reims tandis que la complaisance dans la médiocrité demeure. Douzième à la trêve et muré dans son auto persuasion, il devient de plus en plus incompréhensible et intolérable de la part du club de se mettre à dos ses propres supporters.

À propos de l'auteur

Cet article a été rédigé par MatthiasT, membre du Café du Commerce OL.