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Passions brisées #VDT30

Le 15.04.2022 par tyfoun

C'était l'une de ces soirées européennes qui sentent la poudre, lorsque le stade en ébullition peut transformer une équipe, lui donner des ailes. Hier soir pourtant, l'équipe a transformé la poudrière en une explosion de colère... Retour sur un rendez-vous avec l'histoire qui a viré au cauchemar.

Un stade bouillant

À peine le petit five avec les collègues du travail terminé, je change de tenue en cinq minutes pour rouler vers le stade. Casusbelli en boucle sur la radio comme avant chaque rendez-vous européen, je remonte le périphérique où un long bouchon s'est formé. Au moment où j'arrive sur la route qui ceinture le stade, j'ouvre la fenêtre et j'entends déjà l'ambiance qui gronde depuis les travées du Parc OL. L'odeur des fumigènes pénètre dans l'habitacle – une odeur des grands soirs européens. À peine garé sur le P7, je file droit vers le stade. Pas le temps pour l'arrêt traditionnel au Fût et à mesure, ce soir il y a un feu à allumer au virage nord. On met de côté le championnat, et on rêve de Séville.

Quelques supporters anglais égarés mettent le bazar dans la file d'attente, la sécurité ne voulant pas les laisser pénétrer sur le parvis sans escorte. Ca râle, ça hue, ça chante, la tension monte dans le bon sens. On y est, c'est le moment tant attendu de la saison, celui qui peut la sauver. Dès l'échauffement, le stade est chauffé à blanc. Une ambiance qui rappelle un Lyon Monaco de 2016, une demi-finale face à l'Ajax, ce genre d'ambiance qui doit faire dire aux joueurs, dès la première foulée de pelouse, « le match est à nous, rien ne pourra changer cela ».

Un début prometteur avant la débâcle

L'hymne de l'OL est repris par tout le stade vibrant à l'unisson, et dès le coup d'envoi, les 50 000 spectateurs sautent comme un seul homme. Quand l'OL est à quelques centimètres d'ouvrir le score, le stade pousse l'équipe. L'excitation est à son comble et tout semble parti vers une soirée parfaite.

Les chants résonnent, le virage entraîne avec lui les quarts de virage et un bout des tribunes Jean Bouin et Jean Jaurès (ah, nostalgie de Gerland quand tu nous tiens !), dans un « supporter lyonnais » que l'on doit entendre jusqu'à Fourvière. Le public est transcendé et aurait pu passer à un niveau jamais imaginé si Moussa Dembelé ou Karl Toko-Ekambi n'avaient pas frappé dans le ballon comme dans une piñata, à l'aveugle et en force, à un mètre des cages. La fusion aurait été totale.

Oui mais voilà, l'OL reste l'OL, et alors que je chante à pleins poumons malgré mes intercostaux – qui me font regretter le foot de fin d'après-midi (à 30 ans le cardio n'est plus le même) – on sent peu à peu l'équipe retomber dans ses travers. C'est quasi imperceptible, et peut-être dissimulé par l'ambiance à son paroxysme, mais là, sous nos yeux, le jeu s'étiole...

Des regards inquiets se croisent en virage. Au milieu des chants, le doute engendré par les trop nombreuses déceptions de l'année se devine. Mais l'on continue de chanter, en espérant les pousser, les aider à repartir de l'avant. Je fais une pause le temps de regarder le match et de récupérer (je vous ai déjà parlé de mes douleurs aux intercostaux ?). Et sur cette pause, un corner. Le corner...

Le virage aurait pu se taire – il y avait de quoi, après cette saison, avec ce scénario. Oui mais voilà, tant que c'est possible, on peut y croire. Comment appelle-t-on cela déjà ? Ah oui, le déni ! Mais sur le moment, c'est surtout de la passion, le refus de croire que les vacances à Séville fin mai s'éloignent. À 0-1, il en suffit d'un et c'est encore largement jouable. À 0-2, cinq minutes plus tard, ça l'est beaucoup moins.

Sombre nuit...

À la mi-temps, je suis tellement abattu que je ne trouve même pas l'envie d'aller m'acheter de quoi manger, pas envie de financer le prochain projet immobilier d'OL Vallée dans ce genre de soirée. On reste là, on attend que le match reprenne avec l'once d'espoir qu'il nous reste, proche du désespoir.

Quand le jeu reprend et qu'en cinq minutes l'OL encaisse le troisième but, c'est le rideau, le trou noir. Je ne saurais dire ce qui a suivi jusqu'à la fin du match. Certains ont continué à chanter par passion quand je me suis figé. Quelque chose a cassé, quelque chose s'est rompu...

Plus les minutes filent, plus on constate la différence entre un OL apathique et un West Ham encore transcendé par une rage de vaincre folle. Cette rage de vaincre dont l'absence avait été remarquée par un directeur sportif brésilien à qui on a préféré savonner la planche.

...avant le chaos.

Le stade se vide dès la 75e, du jamais vu de mon temps au stade. Même après le 3-0 face au Bayern à Gerland, le stade était resté uni derrière son équipe, car malgré le score, elle n’avait jamais baissé les bras. J’en ai vécu des soirs de déception au stade : Milan, Amsterdam, Munich… Mais jamais une défaite ne m’avait empêché de dormir à ce point. Je suis là, à une heure du matin, à écrire ce texte, et je revis cet instant encore et encore, lorsque je vois les joueurs trottiner alors que le blason pour lequel ils jouent est trainé dans la boue par leur nonchalance. Jamais je n’avais vu une telle quantité de Gones quitter le virage à 15min de la fin. Rarement le kapo n'a déclaré, à la 80e, « Allez, on se fait un dernier chant pour nous, pour le kiff, et après vous faites comme vous voulez ». Le chaos a petit à petit gagné le virage. Dans une forme de désorganisation, ce chaos s'est traduit par un silence pesant, des applaudissement pour les joueurs adverses qui sortaient, par des visages gagnés par la frustration, minute après minute, geste raté après geste raté.

J’étais là, au milieu de tout cela, posé sur mon dossier, silencieux, le regard dans le vide. Une torpeur dont même un but ne m’aurait pas sorti tellement le désespoir était profond. Je vois l’arbitre assistant nous indiquer le temps additionnel, comme un pied de nez. N'aurait-il pas pu nous épargner cela ? Les supporters anglais, eux, chantent avec joie, et l'on n'a même plus l'envie de résister, plus envie d’être les seuls remparts d’une citadelle quand les généraux sur le terrain pensent déjà à la destination de leur fuite.

Viennent ensuite ces événements, au coup de sifflet final. Je ne pardonnerai pas les violences qui ont pu se dérouler, car rien sur cette terre ne doit pardonner des gestes violents. Mais ces Gones cherchant à entrer sur la pelouse, furieux, ce sont des Gones pour qui tout s’est effondré. L’OL et son président ont tiré sur la corde. Les supporters n’ont cessé de les soutenir malgré tout, alors ils ont continué de tirer, jusqu'à les mettre en première ligne dans un tweet du président Aulas. Ils ont tiré encore et encore...

Mais plus on tire sur une corde, plus le moment de la rupture est violent. Hier, la corde a rompu, et même si le président a voulu la retisser en appelant une nouvelle fois à l'union sacrée pour la fin de saison, il tente en fait d'utiliser un lien qui n’existe plus dans le cœur de beaucoup de supporters dont la passion, hier soir, s'est brisée.

À propos de l'auteur

Cet article a été rédigé par tyfoun, membre du Café du Commerce OL.