Rudi Garcia : éthique de l'irresponsabilité
Le 05.12.2019 par PandevantArnaudÀ défaut d’offrir des résultats exceptionnels ou un jeu léché et à défaut de lancer dans les grandes mesures les jeunes prometteurs, peut-être l'OL peut-il nous donner un cours de philosophie ? On analyse ici des raisons du désamour entre supporters et dirigeants. Au-delà du fond, la forme, notamment en conférences de presse, agace tout autant.
« Je pense qu’on ne mérite pas de gagner ce match-là. Mais on ne mérite pas de le perdre non plus »
Au soir du 3 décembre 2019, l’OL de Rudi Garcia enregistre à la maison une quatrième défaite en dix matches, contre un « gros » en bien piètre forme, le LOSC, jusqu’alors pire équipe du championnat à l’extérieur. Avec un bilan que l’on qualifiera, pour rester étonnamment consensuel, de mitigé, il est intéressant de se demander comment l’entraîneur de notre équipe prend ses décisions. Quelques errements sont-ils justifiés par de grands et nobles principes, obscurs pour le commun des mortels, ou, pire encore, pour des supporters de l’OL ?
Pour le philosophe allemand Max Weber, il existe deux grandes éthiques, c’est-à-dire deux grandes théories pour justifier ce qui doit être fait ou non : l’éthique de la conviction et celle de la responsabilité. On peut appliquer ces notions à des événements historiques, politiques, parfois tragiques, se demander dans quelle mesure la fin justifie les moyens, ou autres débats passionnants. On se limite bien sûr ici au cadre apparemment plus léger du football. Ne cherchons pas loin les exemples ; laisser Juninho procéder à la nomination de Sylvinho au poste d’entraîneur était pour Jean-Michel Aulas un choix que l’on peut rapprocher de la conviction : « peu importe les résultats, il est bon que le président prenne du recul et laisse donc un directeur sportif certes novice choisir son entraîneur ». On part du principe moral à suivre, et on en déduit les conclusions. Au contraire, préférer Garcia à Laurent Blanc a été clairement présenté comme un choix de la responsabilité : « il faut que l’entraîneur ait des résultats tout de suite pour répondre à la mauvaise situation du club ».
Et peu importe, faut-il sans doute comprendre en sous-texte, que Garcia n’ait pas toujours été tendre avec l’OL, qu’il ait même entraîné très récemment un rival, que son adéquation avec le projet soit à première vue approximative, que Blanc soit peut-être même intrinsèquement un meilleur entraîneur, et que les supporters grognent – si les résultats suivent, tout cela sera vite oublié par la majorité. Certes, mais ils ne suivent pas. Et dans la logique de la responsabilité, l’échec condamne : si la saison se termine mal, on pourrait assister à des départs de Garcia, de Juninho, voire d’Aulas, tandis que celui qui prétend faire ses choix par conviction pourra toujours dire au moins qu’il a respecté ses principes jusqu’au bout, a continué à jouer sur le pont du Titanic.
La question de la formation
Le principe supposément fondamental de l’Olympique lyonnais est aujourd’hui la formation de jeunes joueurs, issus de l’Académie, même si l'on sait que la post-formation joue également un rôle et que les recrues sont un peu plus expérimentées qu'auparavant. Principe noble s’il en est, incarnation d’une certaine forme de résistance au « foot business », voire d’une identité locale qui permet aux suiveurs de s’identifier ; et atout économique et sportif intéressant, ce qui n’est pas négligeable. Un coach qui arriverait à l’OL avec une éthique de conviction ferait probablement jouer les jeunes très souvent, quitte à avoir des résultats difficiles sur le court terme, en espérant que cela soit bénéfique plus tard. L’autre éthique consisterait à maximiser les résultats immédiats, quitte à ne pas respecter ses principes, ce qui impliquerait de s’assumer comme responsable des éventuels échecs de l’équipe.
Et bien sûr, j’aurai pour vos yeux assez de pitié pour vous épargner la vue de notre composition à Saint-Pétersbourg. En l’absence de beaucoup de titulaires, il semblait intéressant de lancer Maxence Caqueret en double-pivot avec Lucas Tousart, limité à la création mais parfois intéressant physiquement. À défaut, le jeune Brésilien Jean Lucas, certes peu en vue. Mais ce double pivot Tousart-Denayer ne pouvait se justifier que par une réussite (c’est-à-dire au moins un match nul), qui, comme on le sait, n’est pas venue. Et qui dirait que ce 2-0 en faveur des locaux était franchement immérité ? Aurait-on fait pire avec un jeune, sachant que la différence de buts ne comptera pas ? Replongeons dans l’analyse du coach après la défaite : « On aurait été plus inspiré de presser plus haut et de se créer davantage d’occasions ». En alignant un milieu créatif au milieu plutôt qu’un défenseur, peut-être ? Enfin, soyons rassurés, il « ne regrette pas » cette composition. L’irresponsabilité est totale.
Quand Rayan Cherki peut rentrer à 3-1 à la 90ème face à Benfica pour battre le record de précocité en Ligue des Champions et un peu faire briller l’OL sur ce plan, cela n’est pas fait. Quand un défenseur gauche perce en réserve, est déjà remarqué par l’entraîneur précédent et que les titulaires à son poste déçoivent, il devra attendre au moins décembre pour avoir une minute, probablement sans filet de sécurité puisque les alternatives sont blessées. Quelle série d’événements a-t-il fallu pour que Caqueret joue ? (et qu’il le fasse fort bien ?) Même si on oubliait les principes, quelle image envoie-t-on aux jeunes espoirs ? Pense-t-on sérieusement que la perspective d’être remplaçant-du-remplaçant-de-Tousart-ou-Koné-à-moins-que-je-puisse-recaser-un-arrière-droit-à-ce-poste retiendra nos talents, face à la promesse de gros chèques ailleurs ? Encore une fois, si les résultats étaient excellents, le sujet serait remis à plus tard, on accepterait probablement de faire jouer un ou deux bons jeunes en Coupe de la Ligue ou quand le podium serait assuré. Mais quel gros (ou même quelle bonne équipe) du championnat a été battu par Garcia depuis son arrivée ?
Rongoni, l’imbroglio
L’OL a fait une acquisition remarquée dans le courant du mois de novembre ; le préparateur physique suggéré par l’entraîneur, Paolo Rongoni. Depuis son arrivée, une malheureuse coïncidence a voulu qu'Houssem Aouar, Thiago Mendes, Memphis Depay, Martin Terrier, Léo Dubois, Ciprian Tatarusanu ou encore Youssouf Koné soient plus ou moins gênés, voire indisponibles pour une bonne durée (absence de quelques mois pour Dubois qui semblait bien placé pour l'Euro 2020, ou encore Koné qui a été opéré). Il ne nous appartient bien sûr pas de juger la préparation physique, nous ne la connaissons pas et sommes évidemment bien moins connaisseurs que les responsables du club. Il n’en reste pas moins que certains ont critiqué le changement de méthodes et ont pointé les blessures aux ischios-jambiers, déjà fréquentes à Marseille les années passées. Contrôle de connaissances, vérifions les acquis : je vais vous proposer trois réponses si on pose une question sur les blessures, une correspondant à l’éthique de conviction, une autre à l’éthique de responsabilité, la dernière à ce qui a réellement été dit. Attention, l’exercice philosophique est ardu.
« Je crois à des principes bien précis sur la préparation physique des joueurs, j’ai donc demandé à mon adjoint d’utiliser ses méthodes car je les pense meilleures dans l’absolu, même si c’est dommage que quelques joueurs se soient blessés avec le changement, qui n’est pas forcément la seule cause de cela »
« Je pensais que ces méthodes et mon adjoint étaient plus adaptés à la situation que la précédente préparation physique, et que cela entraînerait de meilleurs résultats. Ce n’est visiblement pas le cas puisqu’il y a eu plusieurs blessures, je demande donc pardon aux supporters et aux joueurs, c’est de ma faute, nous allons chercher une voie médiane »
« Je ne sais pas ce qui se passe, c’est peut-être de la faute de Sylvinho en avant-saison »
Franchement, si des caricatures lui avaient fait dire ça, on les aurait trouvées sévères. Au-delà des résultats moyens et de contenu très décevant, notamment sur le match de Lille, au-delà de choix comme un Tousart quasi-indiscutable (alors qu’auteur de très mauvaises prestations contre Dijon ou Lille, même s’il a pu parfois être intéressant dans son registre) ou un Melvin Bard toujours pas dans les radars malgré l’insignifiance de Youssouf Koné ou Fernando Marçal, l’irresponsabilité est passablement énervante pour les fans. La sensation qui domine ? Le coach n’admet jamais d’erreurs, préférant s’en remettre à un « manque de réussite » ou une « équipe jeune » [insérer ici quelques expressions de coach français en conférence de presse, faites attention à ne pas parler de football, c’est le piège],
Alors, il ne s’agit pas de dire que l’entraîneur est le seul fautif : quoi qu’en pensent des nouveaux nostalgiques – l’oubli est bien généreux - l’OL des deux dernières saisons était également très irrégulier, ne devant le podium qu’à de petits miracles et à des exploits individuels, porté par des joueurs exceptionnels. Celui de 2016-17 a fini 4ème à 11 points de Nice. Il me semble en revanche que si Sylvinho avait été conservé, il aurait joui d’une meilleure image auprès des fans et de la sacro-sainte institution, aurait eu des chances de progresser en tant qu’entraîneur, et, qu’au pire, on aurait eu plus de chances de trouver un grand technicien en décembre qu’en octobre ; aussi la décision d’embaucher Garcia semble-t-elle aujourd’hui peu pertinente à la vue des résultats. Pourtant, il restera selon toute probabilité l’entraîneur de Lyon au moins jusqu’à cet été, et l’on y peut peu. Il ne s’agit pas non plus de sombrer dans le pessimisme.
Cette équipe a en effet énormément d’atouts : un Memphis promu capitaine et dans une forme de véritable top-player, un Lopes attaché au club et presque toujours bon, des joueurs « avec du ballon », Dembélé, Aouar, Reine-Adelaïde, des recrues comme Andersen ou un Mendes des bons jours, des joueurs moyens tout de même capables de jouer un rôle en équipe première, des jeunes ambitieux (Racciopi, Bard, Solet, Caqueret, Cherki, Gouiri... pour ne citer que ceux qui pourraient jouer dès maintenant) formés par une grande académie, un système défensif en progrès depuis cette été (si on pense seulement à interdire à Marcelo de faire des relances quand il fait souffler les titulaires), une situation financière saine, une équipe de recrutement capable du meilleur, une philosophie intéressante sur le papier... Et puis le podium n'est pas perdu, puisqu’on a la chance de voir une Ligue 1 très homogène (comprendre faible), et les coupes ne sont pas jouées. Néanmoins, le match de Leipzig sera fondamental pour la fin de saison. Une victoire et c’est la première place, bon signe pour le bilan financier et sportif pour peu que le podium suive. Un autre résultat, et il faudra sans doute des exploits de l’effectif pour sauver ce qui peut l’être, en coupes et en championnat.
Ce qu’il manque véritablement, c’est l’attachement que les supporters disaient avoir pour l’OL, l’émotion, qui n’était sans doute pas pour rien dans des séries de victoires spectaculaires ces dernières années. Aujourd’hui, ils semblent partagés entre l’agacement, la détestation, ou, pire, l’indifférence. Alors, pour apporter un peu de cet esprit à l’équipe, il faut du franc-parler, du football sur le terrain et en conférence, des jeunes, des principes clairs et cohérents, jouer enfin chaque match... et surtout, de la responsabilité, de la part des joueurs et de leur entraîneur.