John Textor... vu d'ailleurs – Épisode 2 : L'Angleterre
Le 14.07.2022 par tomabadie98Depuis quelques jours, un nom est sur les lèvres de tous les Gones et de tous les suiveurs du football français : John Textor. À la différence des ventes du PSG ou de Nice, cette acquisition n’est que partielle, le businessman américain n’ayant racheté que 66,56% des parts du club, devenant tout de même l’actionnaire majoritaire. C’est une véritable révolution à l’OL : Aulas n’est plus l’actionnaire principal du club lyonnais et ce, pour la première fois depuis son investissement il y a 35 ans.
Textor n’est pas à son premier investissement dans le football : en janvier 2022, il est ainsi devenu actionnaire principal de Botafogo F.R. (Brésil) et du RWD Molenbeek (Belgique) respectivement à hauteur de 90% et 80%. Cependant, cet article s’intéresse de plus près à un quatrième investissement dans le monde du football : son rachat de 40% des parts du club londonien de Crystal Palace en août 2021. Entretien avec des supporters de Crystal Palace et des journalistes proches du club des Eagles.
La version anglaise est disponible ici. English version available here.
Succès digital et inquiétudes
Lorsque Textor débarque avec ses fonds à Londres, il est inconnu du public britannique. Il cherche depuis quelques mois à investir dans le football anglais, avec des tentatives infructueuses de rachat de Newcastle, Brentford et Watford, mais également de Benfica au Portugal. Passionné de skateboard dans sa jeunesse, il est dit que sa passion du ballon rond est venue après avoir aidé des jeunes à obtenir des scholarships (bourses) pour aller à l’université grâce à leur pratique du foot. En créant l’académie FC Florida il y a plus de 20 ans, il a permis à de nombreux jeunes défavorisés d’accéder à leurs rêves de devenir footballeur professionnel, notamment le milieu Jacob Montes, arrivé l’été dernier à Palace. Sa fortune, il l’a cependant amassée autre part.
Similairement à Aulas lorsque ce dernier a racheté l’OL, la technologie et plus particulièrement le numérique et les médias lui ont permis d’obtenir ce succès financier, avec la création notamment de Facebank, une banque virtuelle qui utilise les visages et les corps de ses clients comme des avoirs financiers, notamment dans la publicité. Néanmoins, son premier rapprochement avec le monde sportif survient lorsqu’il travaille pour Fubo TV, une plateforme de streaming qui détient les droits de diffusions aux États-Unis de chaînes telles que BeIn Sport, Fox Soccer, ESPN ou encore Eleven Sports. Plateforme qu’il fait entrer en bourse. Là encore ce fut un grand succès, mais les supporters de Palace, quant à eux, demeurent inquiets vis-à-vis du plus grand échec financier de la carrière de Textor : le crash de Digital Domain.
Cette dernière était une entreprise très réputée pour la production d’effets spéciaux à Hollywood. Sous la tutelle de Textor, cette boîte a fait faillite. « Il a fait quelques erreurs mais il a été surtout très malchanceux (…) il n’a jamais lui-même déclaré avoir été en banqueroute et il a travaillé très dur pour se refaire une réputation et une carrière, ce qu’il a réussi, » explique Matt Slater, journaliste pour The Athletic spécialisé dans l’économie du sport. « Les supporters de Palace ont appris tout ceci pendant que Textor finalisait le rachat des parts de leur club, tout est allé très vite. Ils ont apprécié le fait qu’il ait répondu à toutes leurs questions sur sa carrière et pourquoi il voulait investir dans le club. Depuis un an, il est clair que l’argent a été bien investi, notamment dans les jeunes joueurs, qui ont aidé le club à s’améliorer, » ajoute Matt.
Assurances apportées aux supporters
Cela aide forcément au niveau de la confiance venant des supporters, qui voient l’Américain très volubile sur les réseaux sociaux. Ils ont pu régulièrement interagir avec lui, ce qui aida à rassurer certains sur le côté “investisseur de l’ombre avec un passé compliqué”. « Les fans étaient sceptiques à son arrivée, notamment à cause de la réputation des Américains et leur relation avec le football. Il a cependant démontré qu’il était ravi de s’investir dans le club. On a même également vu son fils, aux matchs à domicile et à l’extérieur, » ajoute Dan, présentateur du podcast HLTCO dédié au club des Eagles. Sachant que Palace est l’un des rares clubs dans l’élite du football anglais avec encore des supporters qui ont des parts dans le club et qui, par conséquent, ont un mot à dire sur sa gestion, il fallait forcément rassurer les fans que l’identité du club ne serait pas ternie par un investisseur venu de Floride uniquement pour se faire de l’argent.
Matt Slater ajoute également que Textor n’est pas un des investisseurs les plus riches sur le marché – estimant sa richesse à quelques centaines de millions de dollars plutôt que plusieurs milliards – mais qu’il fait plutôt partie de la lignée des investisseurs qui font des choix mesurés et pluriels : « Ce genre d’investisseur n’investit pas tout son argent dans un élément et préfère faire partie d’un groupe qui partage les risques et les récompenses. Donc, je pense que Textor a réuni près de $1 milliard provenant d’investisseurs des États-Unis avec pour objectif de construire un groupe de plusieurs clubs » explique ainsi Matt. Il faut donc souligner que bien qu’il ait investi lui-même à Palace, aux côtés de trois autres Américains déjà présents au club, c’est sous le nom de son fonds d’investissement, Eagles Holdings (ou Eagle Football), qu’il a racheté des parts au Botafogo, à Molenbeek et donc à Lyon. Grâce à une somme de près de £90 millions (selon The Guardian), Textor a également récupéré des droits parrainage, avec des publicités occasionnelles sur le bord du terrain. Cet argent a été presque intégralement remis dans le club, avec un objectif d’améliorer les infrastructures de l’académie et prochainement du stade de Selhurst Park. Une partie de la somme a aussi permis d’investir sur le marché des transferts.
Le bâtisseur de l’ombre
« Je ne me suis jamais considéré comme un investisseur (…) je suis un bâtisseur » déclarait Textor lors de sa première conférence de presse en France. « J’espère qu’on me percevra comme quelqu’un qui aime aider, apporter des ressources, » ajoutait-il. Cela s’est quelque peu ressenti dans son approche au sein des clubs qu’il a rachetés par le passé ; son influence sur les choix sportifs et dans l’organigramme des clubs est (en principe) très limitée, bien que cela puisse varier selon les clubs. S'il prend quelques décisions fortes à Botafogo, c’est loin d’être le cas à Crystal Palace. En effet, n’étant pas majoritaire à Londres (même s'il reste le plus gros actionnaire), la situation diffère des autres clubs, que ce soit à Botafogo, Molenbeek voire même à Lyon : « Les décisions exécutives sont prises par le PDG, le Président et le Directeur du football. Bien sûr que le board peut avoir une opinion et une certaine influence, mais Textor n’est pas majoritaire et donc ne devrait pas être si décisif dans les choix de recrutements notamment, » explique Bruno, community manager du compte The Palace Way sur Twitter. Bruno ajoute qu’il semblerait donc que Vieira ait été pleinement autonome dans ses décisions tactiques et qu’il ait été aidé par Dougie Freedman, le Directeur du football des Eagles, pour les transferts.
Il est cependant vrai que le changement de dimension est notable depuis l’arrivée de Textor. Bien que l’académie des Eagles marche bien depuis de nombreuses années, les talents londoniens vont quasi exclusivement dans les grands clubs (Chelsea et Arsenal notamment). Il y a donc nul doute que l’attractivité de Palace pour les jeunes est aujourd’hui bien plus forte. En investissant dans les infrastructures de l’académie, en élargissant le staff technique et de scouts à ce niveau, les jeunes commencent à considérer les Eagles comme une destination bien plus intéressante aujourd’hui. Le club recrute non seulement de meilleurs joueurs, mais le chemin vers l’équipe première est bien plus évident que chez les rivaux de la capitale britannique. La volonté de développer l’académie et l’utilisation des jeunes a été longuement soutenue lors de la conférence de presse à Lyon, bien que le centre de formation des Gones soit quelque peu mieux rodé que celui de Palace.
L’apport financier que Textor met sur la table a également permis le recrutement de nombreux jeunes joueurs. Bien qu’il n’influence pas (sur le papier) les décisions, il est clair que Textor adore les jeunes talents et voulait changer la direction que prenait le club après de nombreuses années dans le ventre mou du championnat sous la houlette de managers anglais pragmatiques (Pardew et Hodgson notamment) qui ne faisait que peu jouer les jeunes. Le recrutement de Joachim Andersen (Lyon), Odsonne Edouard (Celtic Glasgow), Marc Guehi (Chelsea) mais surtout les prêts de Connor Gallagher (Chelsea) et l’achat de Michael Olise (Reading) démontrent une réelle volonté de rajeunir l’effectif. L’arrivée d’Olise succède à celle d’Eze l’été précédent, tous les deux provenant de Championship. Le scouting de ces joueurs a sûrement été fait en interne, indépendamment de Textor, mais l’apport de ses ressources change la surface financière du club sur le marché et permet un recrutement plus ambitieux, ce que semblaient indiquer les déclarations de l’Américain à son arrivée à Lyon. Il laisse cependant gérer Steve Parish, Président du club, quant à la répartition de ces fonds, gardant plutôt ce rôle d’injecteur de fonds que d’investisseur décisionnaire.
Ambitions futures
Les doutes ont (partiellement) été levés à Lyon sur la possibilité d’un montage financier sous forme de LBO (leverage buyout), synonyme d’un investissement risqué à but lucratif à cour terme plutôt que visant à faire grandir le club sur et en dehors du terrain. Les plans exacts sur le long terme de Textor demeurent cependant encore vagues. Ce même doute plane quelque peu à Londres, où les opinions divergent sur la durée de l’investissement de l’Américain et sur ses motivations exactes sur les années à venir : « Je ne pense pas que Parish et le board voudront des turbulences durant ce qui est sûrement la période de transition la plus importante depuis qu’il est à la direction ; pour cette raison, je pense que Textor va rester un long moment » explique Bruno.
D’autres sont plus sceptiques quant à sa volonté de simplement aider le club à maximiser son potentiel sur le terrain, plutôt que faire de Crystal un simple investissement financier rapide : « Je ne sais pas s’il a personnellement établi des objectifs précis pour le club (probablement lié au fait qu’il n’est pas majoritaire au club) mais nul doute que le club est dans une spirale positive actuellement, » élabore Dan. Il se pourrait alors qu’il reste encore quelque temps, tant que le club va bien. Matt a lui une idée en tête de la façon dont Textor pourrait utiliser Palace dans une vision plus globale : « Pour la plupart des investisseurs en private equity, c’est en général sept ans ! La carrière de Textor suggère qu’il ne sera pas là un long moment – il aime bien construire des business et les revendre ou les coter en bourse. Je pense qu’il va construire un groupe avec plusieurs clubs et qu’il le fera coter en bourse d’ici cinq ans ». Tony est lui plus pessimiste : « Personnellement, je pense que son argent va s’assécher et qu’il va vendre au moins quelques parts de ses clubs. Je pense qu’on va être dans une situation économique très compliquée, sachant qu’il est très impliqué dans la tech et donc ça pourrait mal se finir, » concède-t-il.
Qu’il veuille vendre ou non les clubs rapidement, il n’y a aucun doute sur le fait que Textor souhaite que les clubs progressent. « Je ne me souviens pas qu’il ait dit quelque chose de lunaire à propos de Palace, comme un objectif de gagner la Premier League ou encore la Ligue des Champions mais il veut que Palace (et ses autres clubs) s’améliorent. C’est un fan de sport en ce sens, mais également un entrepreneur, dans le sens où il sait que les clubs qui gagnent rapportent plus que ceux qui perdent, » explique Matt. En construisant un business sportif à l'américaine, basé sur l'entertainment, la vente de boissons, de merchandising et bien plus encore, Textor peut réellement faire grandir les marques de ces clubs, chose que l’on voit avec d’autres investisseurs américains en Angleterre notamment, ou même dans la dernière décennie de Jean-Michel Aulas à la tête de l'OL. « L’OL représente tout ce que j’aimerais voir dans les clubs. Il représente le sport, le foot, le divertissement, le basket. » avait-il déclaré lors de sa présentation à Lyon, illustrant bien par ces propos sa volonté de construire des clubs sportifs comme ceux conçus aux Etats-Unis.
Encore faut-il trouver le juste milieu, car Palace est un club très traditionnel où les supporters souhaitent avant tout être pris au sérieux, que l’histoire du club soit respectée et que l’identité soit au cœur de leur club. Ces sacrifices ne seront pas faits au profit de victoires, bien que les fans soient très enthousiasmés par la première saison depuis la prise de participation de Textor. La possible perte d’identité du club pourrait revenir cependant sur la table si Textor pousse à fond son souhait de créer un groupe de clubs.
Collaboration ou simple multi-investissement ?
En s’offrant des participations dans plusieurs clubs, Textor se met dans l’œil du cyclone des supporters dits « puristes » du football, ceux qui détestent les groupes de clubs notamment : « Textor construit un groupe de clubs multiples comme City Football Group, Red Bull, Pacific Media, Harris/Blitzer, 777 Partners, etc. C’est LA grande idée des investisseurs dans le football aujourd’hui. Faire des économies, créer une plus grande plateforme de sponsors, plus de chemins pour le développement des joueurs, plus de marchés à aller chercher, un plus grand accès aux talents, etc. C’est l’idée en tout cas ! » explique Matt, qui écrit régulièrement sur ce sujet. Red Bull a fait partie des premiers à avoir construit ce genre de modèle, avec une réelle synergie entre les clubs, parfois trop, au point d’encourir des problèmes judiciaires : unification des noms, des logos, des maillots, des sponsors, du modèle de formation, coopération totale au niveau des scouts et des entraîneurs et surtout transferts de joueurs (souvent à prix réduit). Manchester City a lui partiellement embrassé ce modèle, comme on a pu le voir avec certains joueurs prêtés à Troyes cette saison. Fan ou pas fan de ce nouveau courant, les suiveurs du ballon rond doivent se faire à l’idée que c’est le présent et le futur de ce sport, bien qu’il faudra trouver un juste milieu pour ne pas détruire complètement l’identité des clubs.
Avec des participations à Palace, Molenbeek, Botafogo et maintenant l’Olympique Lyonnais, les questions se posent donc sur le fonctionnement de ces clubs dans les saisons à venir. Textor veut faire de l’OL une « pierre angulaire du projet », cela voudrait dire que des joueurs pourraient être envoyés au Groupama Stadium comme destination finale, comme Red Bull le fait avec Leipzig ? On voit bien que ce modèle n’est pas encore pleinement rodé et qu’il y a de nombreuses failles, notamment avec le système de prêts à répétition à travers les clubs. Le premier exemple de ce genre de transfert dans la “famille Textor” est le prêt cette saison de Montes de Palace à Molenbeek, qui est loin d’être concluant selon Bruno. Matt quant à lui pense que cette coopération sera bien présente, alors que les deux supporters ont vraisemblablement très hâte de voir comment cela pourrait se concrétiser et apporter à leur club : « Je pense que cela serait bénéfique pour les deux clubs (Lyon et Crystal Palace) si c’est bien géré sur le long terme. Ce qui sera important ce n’est qu’aucun des deux clubs ne prenne l'avantage dans l’esprit de Textor, » explique Dan. « L’achat de joueurs français est devenu une marque de fabrique de Palace dans l’ère de la Premier League et j’ai très hâte de voir comment cette relation pourrait bénéficier aux deux clubs. J’espère voir beaucoup de transferts et de prêts entre les clubs dans un futur proche, » ajoute Bruno.
Alors que nous sommes bien au fait du fonctionnement de l’OL International Community, un petit groupe de clubs qui travaillent avec l’OL, notamment sur la formation et le développement de jeunes talents à travers le globe, nous avons donc plus de questionnements sur la façon dont va se matérialiser la relation entre Palace et l’OL, voire même avec les deux autres clubs de Textor, en attendant l’acquisition hypothétiques d’autres entités encore. Ce que soulignent les supporters cependant est que la relation entre fans est déjà importante : « Depuis l’achat de Botafogo, une relation forte s’est développée entre les supporters du club brésilien et ceux du sud de Londres – et cela a été cultivée par l’admiration publique qu’exprime Textor quant aux deux groupes de supporters, » explique Bruno.
Les fans de l’OL et de Botafogo ont déjà bien échangé depuis la nouvelle du futur investissement de Textor dans le club des Gones, de par la relation historique entre Lyon et le Brésil. Il faudra observer si des relations amicales se développent avec Crystal Palace et les fans des Eagles. Nul doute cependant que l’Olympique Lyonnais entre dans une nouvelle ère. Positive ou négative ? On devrait y voir plus clair dans les mois à venir. Il y a cependant un bon pressentiment chez une partie des supporters des Gones qui se basent notamment sur ce qui a pu être observé de l’implication et de la gestion de Textor dans les autres clubs qu’il co-détient. Wait and see, comme on dit outre-Manche.