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La cité de la torpeur

Le 23.03.2021 par MatthiasT

Alors que la trêve internationale pousse les supporters lyonnais à ressasser les tristes événements parisiens, qui ont mené 0-4 sur la pelouse du Groupama Stadium à l’heure de jeu, la douleur laisse peu à peu place à la raison. Cette chute était-elle si imprévisible et imparable ? Analyse des signes annonciateurs et causes de cette torpeur, et tentatives de résolution pour s’en extirper.

Tsar system

D’habitude, les généraux des armées redoutent l’hiver, source d’enlisement, et jouent leur va-tout à l’arrivée du printemps. À l’Olympique lyonnais, cette saison, ce fut l’inverse. Tel le tsar Alexandre Ier, Rudi Garcia trouva la bonne formule à l’arrivée des premières gelées, à l’est, au détour d’un week-end à Strasbourg. Lucas Paquetá, nouvelle addition dans les rangs rhodaniens, réattesta de son potentiel aperçu au Flamengo et s’affirma en général. Entre de meilleures intentions, une efficacité (re)trouvée et des vraies bonnes idées de jeu, Rudi Garcia pouvait mener à bien sa campagne de Russie. Face à un OL survolté et non sans une certaine surprise, les adversaires tombaient un à un. Une série d’invincibilité qui propulsa l’OL à la tête du classement, certes souvent accompagné mais parfois seul, la terre brûlée s’appliquant même jusqu’à Paris, une première en treize ans.

Lors de la trêve de Noël, nous enterrions la hache de guerre en même temps que l’idée de passer une saison maussade que plus d’un supporter lyonnais envisageait à l’issue du mercato. Les problèmes systémiques de l’OL n’étaient plus. La constitution bancale de l’effectif, la faiblesse des ailes, la gouvernance floue, la vampirisation de la post-formation ; tout était oublié. La confiance envers le plan Juninho pour les résoudre primait, tandis que la saison de transition s’avérait beaucoup plus riche et prometteuse que prévue.

Couvre-feu

Seulement voilà, les premiers bourgeons sonnent les premières retraites des troupes de Rudi Garcia. Dans une analyse qui se veut exhaustive, il n’est évidemment pas question de pointer du doigt un acteur en particulier puisque, comme souvent, les torts sont partagés. Ce que nous pensons de monsieur Garcia n’est pas un secret, et de la même manière que la parenthèse hivernale enchantée lui était attribuable, ce crépuscule du « beau jeu » qui intervient à l’aube du sprint final est aussi une autre preuve, s’il en fallait, que l’avenir de l’OL ne peut s’écrire avec lui.

Au sortir de l’hiver donc, le jeu a déserté. Et les résultats n’ont pas tardé à suivre le pas. De victoires arrachées en matchs nuls décevants, c’est d’abord la gestion de l’effectif qui montre ses limites. Comme attendu, ne compter que sur onze joueurs indéboulonnables complique encore la difficulté de garder un groupe motivé au-delà de cette garnison. Revers d’une médaille déjà peu reluisante, le manque de concurrence peine aussi à engager les joueurs titulaires qui le seront quoi qu’il arrive le week-end prochain. Sans parler des effets sur les quelques égos froissés et le préjudice sur les jeunes du centre de formation, ce manque de turn-over peut aussi traduire une absence de remise en question tant que les résultats étaient là. Cela ne pardonne pas à haut niveau.

Au-delà des hommes alignés, le plan de jeu si efficace de la phase aller a perdu de sa superbe. Il subit de plein fouet un manque de renouvellement et, devenu prévisible pour les équipes adverses ayant un minimum révisé leurs fiches, ne demande parfois qu’une densification de l’axe pour être neutralisé.

Resserrer le vice

On mettra aussi en avant la réussite qui a fui les différentes individualités lyonnaises. Le problème de finition ne date pas d’hier – l’OL affiche le plus grand delta en Ligue 1 entre buts réels et expected goals – mais ces statistiques sont plus faméliques depuis janvier. Le cas de Karl Toko-Ekambi, qui a lui le plus grand écart individuel de Ligue 1 en 2021 avec 5.48 xG pour 3 buts réels, est symptomatique de ces ailiers qui ont perdu confiance aussi bien pour finir les actions que pour fluidifier le jeu. D’une manière plus générale, l'efficacité plus ou moins en berne dans les deux surfaces sur l'ensemble de la saison n'est pas que le fruit de la malchance et est une lacune certaine mais pas suffisante qui réduit la marge d'erreur sur les autres aspects du jeu.

Puis, alors que les premiers moments difficiles pointent le bout de leur nez et que la série prend fin, des lieutenants théoriques de l’effectif confirment leur mauvaise saison en amont du sprint final. Les deux suspects de convenance sont évidemment Anthony Lopes et Houssem Aouar. Pour le premier qui nous avait habitués aux parades tenant de l’exploit, les quelques boulettes, le jeu au pied timide et le manque de coups d’éclat sont préjudiciables. Pour le second qui devait poursuivre sa progression vers le zénith des milieux européens, le train de sénateur dans les phases sans ballon, les numéros de soliste parfois en trop et les déplacements entre les lignes insuffisants contribuent à ce manque d’imprévisibilité à la longue.  

Des cas assez clivants que les analyses statistiques n’arrivent pas à trancher mais pour lesquels l’impression visuelle globale traduit au mieux une saison en deçà des attentes, au pire une vraie mauvaise campagne 2020-21. Compte tenu de leur potentiel, de leur statut et du fait que l’OL pouvait (peut) enfin aller chercher un titre, ça fait tache.

Memphis Depay à la lutte contre les Rémois (Damien LG -OL)

Casus belli

Toutes ces causes de la fin de série et de la méforme lyonnaise sur l’année civile 2021 peuvent trouver d’autres raisons préexistantes et externes. Outre les problèmes de fond sur lesquels planchera l’état-major sportif dès cet été, on peut par exemple attribuer une baisse liée à des physiques qui piochent. Corps comme têtes ont du mal à disposer d’un calendrier international, continental et national surchargé auquel s’est greffé un Final 8 qui a tronqué la préparation physique de présaison.

Toujours est-il que ce n’est peut-être pas la meilleure excuse pour un OL dépourvu de fin de Ligue 1 à rattraper en été et de Coupe d’Europe au cours de la saison. Toujours est-il aussi que les résultats sont en berne à moins de dix matchs du terme. Cette baisse comptable a de plus, comme souvent, été précédée d'une production terrain de moins en moins tranchante et séduisante. Des alertes qui n’ont malheureusement pas été prises en compte sur le moment. Résultat, 8 points en 6 matchs depuis la mi-février, après un mois de janvier alarmant dans le jeu mais pas encore tant que ça côté chiffres. Trop tard. La torpeur a contaminé le rendement.

Mais le plus inquiétant reste l’analyse. Quel regard tient vraiment le staff sur ce début d’année ? La question se pose aussi bien en plein match, avec des adaptations et des changements qui tardent et interrogent, qu’a posteriori, à l’image d’un Rudi Garcia qui fustige l’intensité physique après 90 minutes de saute-mouton parisien sur le bloc médian lyonnais.

Insurrection

Pour que la réception de Paris ne soit pas la Bérézina de Rudi Garcia, celle qui sonne le glas de toute ambition liée au sacre, il est urgent de se ressaisir. D’autant que le titre reste tout à fait atteignable et que la course à trois est devenue marathon à quatre. Et les conséquences ne sont plus les mêmes : le quatrième perd son billet en Ligue des Champions. Ne pas faillir à la tradition lyonnaise du sprint final conquérant est primordial.

Alors, quelles pistes pour redresser la barre et élever le niveau sur les dernières journées, ces « dix finales » qui ne sont plus que huit, et le maintenir ? La première d’entre elles ne représente pas un grand niveau d'analyse mais s'impose d'elle-même : au travail ! Même en admettant qu'on ne veuille rien changer en termes de gestion du onze et de dispositif, il y a un travail tactique et mental important à effectuer pour sortir de cette torpeur inacceptable. Rendre les circuits de passes moins prévisibles et réinvestir les ailes d'une charge créatrice sont des prismes absolument nécessaires pour ne pas risquer le coup de la panne.

Dans le même temps, il faudra montrer plus d'intentions positives à la perte du ballon, cette fameuse « envie », plutôt qu'un bloc médian mi-figue mi-raisin déformé par un pressing à géométrie variable. Rentrer sur le terrain de la sorte face au PSG, avec des têtes et des jambes plus fraiches ainsi qu'un temps de préparation supérieur, relevait de la faute professionnelle. Ça tombe bien, il y a une trêve internationale et du matériel pour espérer – soulignons tout de même le fait que l’OL est sur les bases d’une saison à deux points et deux buts par match, même après (pendant ?) cette période.

Plan B ?

D’autres changements, plus fondamentaux mais qui mettraient en péril l'équilibre de l'équipe, aussi fragile soit-il, sont envisageables. Dans l'idéal, il aurait fallu, contrairement à ce que dit l'adage, « changer une équipe qui gagn[ait] ». Cela aurait offert plus de certitudes quant aux cartouches dont dispose l’OL sur son banc. Car lancer des jeunes – ou du moins se mettre soudainement à compter sur eux – en plein sprint final semble relever de l’opération kamikaze. On ne peut donc que nourrir des regrets sur cette situation où chaque changement substantiel est une énorme prise de risque.

Il en va de même pour le dispositif. Avec un milieu si pourvu où Maxence Caqueret semble trop bon pour s'asseoir mais où l'on ne saurait vraiment évincer un des titulaires, le passage au 4-4-2 losange est une alternative viable. Toutes les combinaisons de double pointe autour de Memphis sont concevables, un Houssem Aouar réhaussé en 10 et déchargé des tâches défensives pourrait retrouver des couleurs, tandis que le problème des ailes est éliminé. Problème, les latéraux pourraient devenir un point faible encore plus criant, et ce n'est pas un dispositif qui s'improvise.

Dans la même idée, garder le 4-3-3 mais y glisser Aouar sur l'aile gauche serait une solution intermédiaire, sachant que le poste et le rôle particuliers de Memphis, joueur clef et indéboulonnable à juste titre de cet effectif, rendent quasi impossible toute autre variation de cette composition.

Des remaniements de soldats ou de formations apparaissent donc comme des barouds d'honneur alors qu'ils devraient être des jokers. Dans ce cercle vicieux, difficile d'envisager des changements sauf en dernier recours, bien que les dysfonctionnements actuels ne les rendent pas irrationnels pour autant. Tout dépendra alors de votre sensibilité, enfin, celle de Rudi Garcia. Devrions-nous déjà qualifier la situation actuelle comme nécessitant un dernier recours ?

À propos de l'auteur

Cet article a été rédigé par MatthiasT, membre du Café du Commerce OL.