Comment juger Juninho ?
Le 06.09.2021 par MatthiasTEntre surprotection et blâme démesuré, l’un parfois en réaction à l’autre dans la division d’opinions qui caractérise les réseaux sociaux, il est bien difficile de se faire un avis sur Juninho Pernambucano, actuel directeur sportif de l’Olympique Lyonnais.
Conte de résultat
Que ce soit dans la presse, les émissions, chez les amateurs de football neutres ou concurrents, et enfin au sein des sphères lyonnaises sur les réseaux sociaux ou en personne, Juninho suscite soit des critiques dithyrambiques soit des condamnations bien arrêtées. Et même à prendre en compte l’effet des minorités bruyantes, la nuance ne semble être que très peu à l’ordre du jour.
Le manichéisme de ce débat tient peut-être du caractère féérique du conte Juninho. Comme dans les histoires qu’on lit étant petit, le héros des heures de gloire passées est revenu à la maison tel l’enfant prodigue pour conjuguer le succès au futur. Quelle ombre pourrait-il y avoir au tableau ?
Replaçons les choses dans leur contexte. En mai 2019, l’Olympique Lyonnais arrive à un tournant de son histoire sportive récente et fait revenir son feu meilleur joueur, Juninho Pernambucano, pour (co)piloter sa fusée en la qualité de directeur sportif. Il arrive tout droit de Los Angeles, diplôme UEFA MIP en poche, avec pour mission d’enclencher la deuxième après une quasi-décennie d’embourbements sportifs. Le discours est d’emblée maîtrisé, expert, intéressant et répond à bien des maux constatés dans l’OL du copinage et de l’ambition castrée des années 2010.
L’œuf ou la poule
On ne le sait pas encore, mais très vite vient la première grosse erreur. Si la partition récitée en conférence de presse déborde de bonnes idées, le choix du premier chef d’orchestre sonne encore aujourd’hui comme la fausse note du mandat Juninho. Après une réflexion sur le profil de Jorge Sampaoli, engagé à l’époque avec Santos, l’ancien milieu de terrain lyonnais se tourne vers Sylvinho, jeune entraîneur toujours à la recherche de sa première expérience.
Certes, Juninho ne pouvait pas choisir n’importe quel nom parmi le vivier d’entraîneurs libres de tout contrat en juin 2019. En fait, Jean-Michel Aulas, dont la révolution semblait frappée du syndrome de l’« en même temps », avait imposé comme condition de ne pas remplacer le staff technique lyonnais. Le nombre de candidats s’est de fait retrouvé limité, les meilleurs coachs ayant tendance à venir accompagnés.
Ainsi, est-il excusable pour Juninho de s’être trompé dans de telles conditions, ou celles-ci rendent-elles au contraire le choix d’un entraîneur novice encore plus incompréhensible ? Ce qui est certain, c’est que les conséquences seront dramatiques par la suite. On ne parle pas seulement d’un début de championnat complètement raté – et qui s’avérera valoir plus cher que prévu une fois la Ligue 1 gelée à la 27e journée – mais d’un licenciement éclair qui affaiblira Juninho dans l’organigramme du club au moment de choisir, en panique, le nom du remplaçant.
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C’est de cette manière que Juninho est en partie à défausser de certaines décisions prises durant la période, à commencer par la très discutable nomination de Rudi Garcia, « choisi » parmi une short list tenant plus d’un sketch des Inconnus que d’une réunion de recrutement. Et durant le mandat de l’ancien entraîneur de l’Olympique de Marseille, qui, contre toute attente, ne fut pas très fructueux sportivement, le principal intéressé et ses agents ont été tantôt enclins à mettre du beurre dans leurs épinards par le biais de certains deals – parfois repérés et avortés – qui n’avaient que très peu à voir avec le football.
Néanmoins, pour en revenir à Juninho, ne pas être responsable d’une mauvaise décision n’arrange pas vraiment le procès d’un directeur sportif. La guerre d’égos est en effet une composante à part entière du métier et ne pas la remporter doit peser dans la balance d’un bilan. D’autant plus quand c’est l’erreur initiale liée à la venue de Sylvinho qui le plonge dans une telle situation. Pour caricaturer, un génie du football maladivement timide ne saurait être considéré comme un bon directeur sportif. Rester à bord sans tenir tête, du moins publiquement, et tout en étant investi de responsabilités, c’est aussi consentir. Et ce aussi louable soient la volonté de changement et la vision à long terme.
Ainsi fut prolongé Marcelo, dit-on, à la demande de Rudi Garcia. Mais comment une direction peut-elle à ce point céder aux doléances d’un entraîneur en fin de contrat, sur la sellette, et nommé dans une optique court-termiste ? Devrait-on vraiment balayer cette mauvaise idée – qui a depuis encore plus mal tourné, le défenseur brésilien étant exclu du groupe professionnel – à l’heure d’un premier bilan, sous prétexte que Juninho n’en serait pas à l’initiative ?
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À la question « que penser de Juninho, le directeur sportif ? », éventuellement posée par un tiers neutre curieux de votre avis de supporter, nous pourrions donc à l’heure actuelle évoquer un premier bilan moyen, plus nuancé et donc plus juste. Ce qui n’est pas si mal pour un novice. Il y eut des erreurs – d’aucuns diraient des erreurs de débutant – notamment sur la formation avec le départ aujourd’hui amèrement regretté d’Amine Gouiri ou dans une moindre mesure de Pierre Kalulu. On sent d’ailleurs à ce propos une forte volonté de rectifier le tir avec les propulsions de Sinaly Diomandé, Castello Lukeba et peut-être bientôt de Malo Gusto. Autre souffrance de débutant, le carnet d’adresses de l’OL semble moins épais qu’auparavant, d’autant plus après la disparition de Gérard Houllier.
Puis il y eut d’autres erreurs, plus communes et comme n’importe quel directeur sportif en commettrait. Citons par exemple l’erreur de jugement lorsqu’il fallut choisir entre le package Thiago Mendes - Youssouf Koné et Ismaël Bennacer. En outre, la venue d’Henrique reste à ce jour un mystère.
Il y eut enfin d’excellents coups. Le premier transfert étiqueté 100% Juninho, Bruno Guimarães, est une franche réussite et représente exactement les atouts que peut offrir un directeur sportif à l’affut du football de son pays. Et puis, dans un tout autre registre puisque acheté en fin de mercato comme une bonne opportunité, Lucas Paquetá s’est très rapidement transformé en leader technique à l’OL, bien loin de ce que sa pige milanaise laissait entrevoir. Autre motif de satisfaction, Juninho semble, d’après les informations qui filtrent, ne pas céder aux caprices des agents et encore moins aux dossiers « folkloriques ». Des méthodes saines en cohérence avec la personnalité qui se font rares dans le milieu du football.
Le temps et la raison
Et que penser de ce mercato, alors ? Nous l’avons déjà évoqué en long, en large et en travers, mais Peter Bosz a tout de la bonne idée – et les autres candidats au poste allaient dans le bon sens. En les personnes d’Emerson, Xherdan Shaqiri et Jérôme Boateng, l’expérience ajoutée à l’équipe est sans précédent, en plus de correspondre aux attentes du coach sans avoir à piocher des joueurs dont le déclin serait trop avancé. La balance nette des entrants contre les sortants est donc assez exceptionnelle compte tenu de l’argent dépensé – l’OL finit le mercato avec le solde positif le plus important de Ligue 1.
Les deux plus gros dossiers de l’été n’ont en revanche pas abouti, et les non-venues d’André Onana et de Sardar Azmoun viennent se loger du côté des mauvais points de ce mercato avec un nombre de ventes insuffisant et des carences au sein de l’effectif qui n’auront su être comblées.
Ce mercato devait être le premier coup de feu de Juninho. Il était censé pouvoir nous offrir un vrai bon premier jugement sur le directeur sportif. Malheureusement, il faudra sûrement attendre encore un ou deux wagons et une marge de manœuvre, cette fois financière, plus large pour se faire une meilleure idée. Car c’est un contexte on ne peut plus défavorable qui a frappé l’OL cet été. Sans mécène et devant gérer une billetterie abîmée par le Covid et deux saisons sans Ligue des Champions, le club de Jean-Michel Aulas n’avait d’autre choix que de finir l’exercice avec une balance positive. Et l’OL n’étant pas seul dans ce cas, c’est tout le marché des transferts « modestes » qui s’est retrouvé paralysé, engendrant un cercle vicieux dans la quête de liquidités.
En attendant de meilleurs jours et pour revenir à nos moutons, c’est bien la nuance qui doit primer pour évaluer Juninho Pernambucano. Et même si cela peut être déchirant et demander un effort sur l'inconscient, le débat sur le directeur sportif qu’il est gagnerait à être plus sain et déconnecté de la magie que le joueur qu’il était avait dans les pieds.